Quand un cocktail au citron vert provoque rougeurs et cloques sur la peau exposée au soleil

Savez-vous que vous risquez peut-être cet été, de vous retrouver aux urgences, après avoir siroté une margarita ou un mojito au bord d’une piscine ? Chaque année, des sites de presse en ligne, notamment anglo-saxons, rapportent le cas de personnes « sérieusement brûlées » après avoir pressé des citrons verts dans le but de se préparer un cocktail qu’elles prendront au soleil. À tel point que l’expression « brûlure de margarita » (margarita burn) figure chaque été en bonne place dans les tabloïds.

Une réaction phototoxique appelée phytophotodermatose

Mais de quoi s’agit-il ? Les dermatologues parlent de phytophotodermatose pour désigner une affection cutanée provoquée par le contact avec certaines plantes suivi d’une exposition au soleil. Ce terme médical dérive des mots grecs phyton (végétal) et phos/photos (lumière). Le premier cas décrit remonte à 1942.

Seule la peau exposée au soleil est touchée. Cette réaction cutanée se traduit d’abord par une rougeur (érythème), des boutons et des cloques (éruption vésiculo-bulleuse) et, de façon retardée, par une hyperpigmentation qui peut persister pendant des semaines, voire des mois. Les vésicules sont parfois de grande taille, formant des bulles (phlyctènes). L’humidité, du fait de la baignade ou de la transpiration, apparaît amplifier la réaction.

Cette réaction cutanée résulte du contact avec des composés photosensibilisants présents dans diverses plantes et d’une exposition à la lumière solaire. Il s’agit d’une réaction directe phototoxique, indépendante du système immunitaire. Elle n’est donc pas de nature immunologique.

Le rôle clé des furocoumarines

Les molécules à l’origine de cette phototoxicité sont des furocoumarines. Ces isomères des psoralènes sont présents dans plusieurs espèces de plantes. On les trouve dans la famille des Apiacées (carotte, panais, céleri, fenouil) et celle des Rutacées (orange amère, citron vert, appelé lime en anglais, et autres citrons). La sève de figuier, qui fait partie de la famille des Moracées, contient aussi des furocoumarines.

Lorsqu’elles absorbent l’énergie du rayonnement ultra-violet (UVA, 320-380 nanomètres), les furocoumarines établissent une liaison croisée (cross-link) avec des brins d’ADN, responsable d’atteinte cutanée. Ces agents endommageraient également les cellules de l’épiderme en provoquant une réaction photochimique conduisant à la production de composés chimiques très réactifs, appelés espèces réactives de l’oxygène (anciennement appelées radicaux libres). Il s’ensuit des dommages des membranes cellulaires, entraînant une mort cellulaire, un œdème, la formation de vésicules ou de bulles.

Le citron vert, principal responsable

Je consacrerai l’essentiel de ce billet de blog à relater des cas de phytophotodermatose due au citron vert, fruit du limettier.

La phytophotodermatose due au citron vert est une affection fréquente aux États-Unis et fait assez régulièrement l’objet de rapports de cas. Le dernier en date, publié en mai 2022 dans la revue Military Medicine, concerne une militaire américaine de 24 ans venue passer quatre jours de congé sous le soleil du Mexique et qui est revenue en présentant une sévère phytophotodermatose.

Lors de son séjour, elle a passé la plupart du temps sur la plage et au bord d’une piscine, où elle consommait des boissons alcoolisées. Le jour de son départ du Mexique, elle remarque une légère rougeur sur les mains, érythème qu’elle met sur le compte d’un coup de soleil, bien qu’elle remarque que, curieusement, ses bras et ses jambes, qui ont été également exposés, ne présentent aucune lésion.

De retour à sa base militaire dans l’État de Washington, elle consulte un dermatologue qui l’interroge sur les circonstances d’apparition de l’érythème et du gonflement (œdème) sur la face dorsale des doigts, des deux mains et des poignets. La patiente, qui a mal mais n’a pas de fièvre, présente également des cloques rouges (vésicules séro-sanglantes) à la base de plusieurs doigts. C’est alors que le médecin apprend que la patiente a consommé pendant ses vacances des boissons alcoolisées exclusivement servies avec des quartiers de citron vert et qu’elle renversait régulièrement son cocktail sur ses mains. Les éclaboussures n’atteignaient pas d’autres régions du corps. Ces éléments ont permis au clinicien de poser le diagnostic de phytophotodermatose, en l’occurrence ce que l’on appelle communément la « main de bière mexicaine » (Mexican beer hand). Le dermatologue lui a prescrit une pommade corticoïde à appliquer sur les zones atteintes pendant deux semaines et un anti-inflammatoire par voie orale. La patiente s’est parfaitement remise de ses lésions.

La bière mexicaine, un classique des phytophotodermatoses

En 2022, des médecins américains ont rapporté dans la revue Allergy & Rhinology le cas d’une femme de 32 ans qui a présenté une éruption cutanée sur les mains, ne survenant que pendant les mois de mai et juin au cours des dernières années. On lui avait alors diagnostiqué une dermatite allergique de contact et prescrit des corticoïdes par voie orale, sans que cela n’entraîne une amélioration des symptômes et sans que la cause de son affection cutanée ne soit jamais identifiée. Ce n’est que récemment que les médecins ont compris, après un interrogatoire poussé de leur patiente, qu’elle présentait une phytophotodermatose due aux margaritas qu’elle avait l’habitude de consommer sur la plage lorsqu’elle se rendait en mai et en juin en Floride.

La phytophotodermatose à la bière mexicaine est devenue un classique. On parle alors de « dermatite à la bière mexicaine ». Cette boisson (Corona, Dos Equis), très consommée dans le sud des États-Unis, est habituellement servie avec une rondelle de citron vert placée dans le goulot de la bouteille. Le consommateur enfonce le citron dans la bouteille, applique son pouce sur son col tout en la retournant. Ce geste a pour effet à ce moment de faire flotter le citron au fond de la bouteille maintenue en position renversée. Dans cette position, il se produit une réaction chimique classique, dite de carbonatation, qui provoque fréquemment, sous l’effet de la pression, l’expulsion d’un mélange de bière et de jus de citron hors de la bouteille, malgré le fait que la personne maintienne toujours son pouce sur le goulot. Il s’ensuit une projection de jus de citron sur la peau, surtout si la personne ne porte pas de chemise ou de T-shirt quand elle se trouve sur la plage ou au bord d’une piscine. Le consommateur risque alors de présenter une zone de contact plus importante avec le jus de citron, avec survenue de lésions ressemblant à des stries linéaires ou sinueuses.

Margaritas et mojitos, d’autres cocktails phototoxiques

La préparation de margaritas, cocktail associant tequila, citron vert, curaçao et glaçons, représente une autre circonstance classique de survenue d’une phytophotodermatose.

En 2021, des médecins texans ont rapporté dans le Journal of the American Board of Family Medicine le cas d’une femme de 26 ans qui a présenté une phytophotodermatose après avoir pressé, à l’extérieur sous le soleil, deux douzaines de citrons verts pour élaborer ses margaritas en vue d’une fête à la piscine. Elle s’est ensuite baignée. Le lendemain, elle a commencé à présenter un érythème sur l’abdomen et les cuisses.

Deux jours plus tard (J+3), l’éruption cutanée s’est étendue, est devenue plus rouge et des vésicules ont commencé à se former. À J+5, la patiente s’est vu prescrire un traitement corticoïde et un émollient. À J+6, toutes les vésicules sont devenues douloureuses. À J+7, la zone atteinte était devenue hyperpigmentée.

La préparation de mojitos peut également être à l’origine de la survenue d’une phytophotodermatose, comme en témoignent plusieurs cas publiés ces dernières années. En 2016, une équipe espagnole a rapporté une série de neuf patients, d’âge moyen 25 ans, présentant une pigmentation irrégulière du dos des mains survenue dans un délai de 7 à 14 jours après avoir préparé des cocktails à base de rhum, de menthe, de sucre et citron vert. Tous les patients ont été surpris lorsque les médecins leur ont demandé s’ils avaient préparé des mojitos les jours précédant la survenue des lésions cutanées.

Formes linéaires ou en confettis

La phytophotodermatose due au citron vert, l’autre maladie de lime

Ce qui frappe, et tranche singulièrement avec d’autres érythèmes, c’est la forme des rougeurs, qui apparaissent souvent sous l’aspect de coulées linéaires ou prennent une disposition bizarre.

Parfois, les zones érythémateuses ont curieusement la forme d’une main. Un tel cas a été rapporté en 2022 dans la revue Contact Dermatitis par des médecins de Phoenix (Arizona) chez une petite fille âgée de deux ans présentant des lésions sur les membres inférieurs. L’enfant était en vacances au Mexique avec des membres de sa famille qui avaient consommé des bières servies avec des quartiers de citrons verts. La mère, qui avait porté sa fille dans ses bras en posant ses mains sur ses jambes, présentait des lésions similaires à celles de l’enfant.

Plus étonnant, une répartition des lésions en confettis a été décrite en 2022 dans la revue Contact Dermatitis par des dermatologues italiens chez deux femmes qui travaillaient les week-ends comme serveuses dans le même bar sur une plage. Leur travail consistait, entre autres choses, à couper en deux des citrons verts pendant au moins deux heures par jour.

Un diagnostic qui nécessite un interrogatoire approfondi

On comprend que le diagnostic de phytophotodermatose implique un interrogatoire approfondi du patient. Dans la majorité des cas où les lésions cutanées sont limitées, le traitement est principalement symptomatique, consistant le plus souvent en l’application locale d’un corticoïde pour calmer l’inflammation et d’un anti-inflammatoire non stéroïdien, ou de compresses froides, pour calmer la douleur et réduire la durée des symptômes. Il importe néanmoins aux médecins d’expliquer aux patients que la meilleure protection est une prévention efficace, à savoir éviter le soleil après une exposition à un agent photosensibilisant.

Des cas même dans les régions arctiques

Si la plupart des cas sont survenus dans des contrées chaudes et ensoleillées, il est intéressant de citer un cas rapporté en 2018 par des médecins danois dans la revue en ligne BMJ Case Reports. Ce cas concerne un Australien de 29 ans qui a voyagé au Groenland, passant son temps à camper et à photographier les icebergs. L’exposition solaire dans la région arctique est particulièrement intense durant l’été. Les taux de rayonnement UVA dans le cercle arctique sont les plus élevés entre les équinoxes printanier et automnal du fait d’une exposition constante au soleil de minuit.

Arrivé sur une île isolée, ce touriste a présenté une éruption bulleuse, source de douleurs et de démangeaisons sur le dos des mains et la face dorsale des doigts. Ces cloques, dont certaines étaient hémorragiques, étaient bizarrement réparties, accompagnées de zones érythémateuses.

À son retour, il consulte à l’hôpital pour ses lésions cutanées. Lors de l’interrogatoire par le médecin, ce touriste indique que cinq à dix jours précédant la survenue de ces lésions, il avait écrasé deux citrons verts à l’extérieur, en faisant attention de ne pas en perdre une goutte, puis avait versé le jus dans une bouteille d’eau. Tout cela afin d’être sûr de consommer suffisamment de vitamine C. Il ne s’était pas ensuite lavé les mains après car sa ration d’eau était limitée et s’est retrouvé les jours suivants exposé à la lumière du soleil pendant plus de dix heures.

D’autres boissons photosensibilisantes

La margarita n’est pas le seul cocktail à pouvoir provoquer une phytophotodermatose. En 2015, des médecins canadiens ont rapporté dans le Canadian Medical Association Journal (CMAJ) le cas d’une femme de 26 ans qui s’est présentée aux urgences avec une éruption vésiculeuse sur les mains. La veille, elle avait pressé des citrons verts et des citrons tout en faisant de la sangria. Elle avait passé le reste de la journée dehors au soleil. Quelques heures plus tard, elle a ressenti un érythème brûlant douloureux suivi de la formation de grosses cloques sur les mains.

Méconnue du grand public

Peu connue du grand public, la phytophotodermatose due au citron vert et à une exposition au soleil aurait besoin, si j’ose dire, de plus de visibilité afin d’être prévenue, tant chez l’adulte que chez l’enfant.

Des cas également chez les enfants

En 2008, trois cas avaient été diagnostiqués par des médecins australiens chez des enfants britanniques, âgés de 6, 11 et 14 ans, qui s’amusaient à découper des citrons verts en plein soleil. Ils avaient présenté des cloques sur les mains. Ces cas ont été publiés dans un article de la revue Burns.

La phytophotodermatose peut se produire « par procuration », autrement dit de façon indirecte. Pour preuve, ce cas brésilien, publié en 2013 dans Archives of Disease in Childhood, concernant une fillette de trois ans qui a présenté des lésions cutanées hyperpigmentées sur le tronc, mais épargnant les zones recouvertes par le maillot de bain. Sa mère présentait des lésions similaires sur les mains. 

Elle s’est souvenue avoir écrasé des citrons en mangeant des fruits de mer, avant d’appliquer de la crème solaire sur sa fille.

Plus récemment, en 2017, des médecins urgentistes californiens ont rapporté dans la revue Pediatric Emergency Care le cas de cinq fillettes, âgées de 7 à 10 ans, qui jouaient un après-midi à préparer des boissons citronnées et de la limonade. Elles s’amusaient à presser et jeter des citrons verts et des citrons pendant une fête au bord d’une piscine. Selon les cas, les petites filles présentaient des lésions du visage, des mains, des bras, des jambes, des lèvres. Les parents avaient été longuement interrogés sur l’éventualité de blessures infligées intentionnellement, d’autant plus qu’une des fillettes avait une lésion dans le dos ayant l’apparence d’une empreinte de main.

En conclusion, la phytophotodermatose est une réaction cutanée encore trop méconnue, provoquée par le contact de la peau avec des plantes contenant des furocoumarines, comme le citron vert, suivie d’une exposition aux rayons UV. Bien qu’elle soit le plus souvent bénigne, elle peut entraîner des lésions douloureuses et laisser des séquelles pigmentaires. Un interrogatoire précis du patient et une bonne connaissance de cette affection par les médecins permettront de poser le diagnostic et de conseiller une prévention efficace. Une meilleure information du public sur ce risque lié à la manipulation de citrons et à l’exposition solaire s’avère nécessaire.

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