Nous connaissons tous ces moments où notre esprit vagabonde, perdu dans ses pensées, alors même que nous sommes éveillés en pleine journée. Ce phénomène très courant, que l’on appelle en anglais « mind wandering », est encore mal compris des neuroscientifiques.
Récemment, une équipe de recherche française a fait une découverte intrigante : lors de ces épisodes d’inattention, notre cerveau présenterait des ondes lentes, caractéristiques des premiers stades du sommeil. Serait-ce la preuve d’un « micro-sommeil » cérébral localisé ? Retour sur ces travaux fascinants, qui ouvrent de nouvelles perspectives sur le contrôle de l’attention.
Les ondes lentes, signature de l’endormissement
Lorsque nous nous endormons, notre cerveau produit des ondes lentes de plus en plus amples et synchronisées. Ces ondes delta et thêta, entre 1 et 7 Hz, sont la marque des premiers stades du sommeil lent. Elles traduisent une baisse de l’activité de grandes populations de neurones corticales.
Ces ondes lentes remplissent plusieurs fonctions cruciales : elles permettent la récupération physiologique, la consolidation des souvenirs, le déclenchement de certaines sécrétions hormonales… Leur apparition progressive est donc nécessaire pour un sommeil réparateur.
Une signature des pertes d’attention during waking?
En 2011, une équipe dirigée par le Dr Thomas Andrillon à l’Université de Wisconsin fait une première découverte surprenante : des ondes lentes apparaissent par moments dans le cerveau de personnes totalement éveillées et concentrées sur une tâche!
Intrigués, ils décident d’explorer plus avant ce phénomène. En 2019, le Dr Andrillon, désormais à l’Institut du Cerveau de Paris, mène une nouvelle expérience avec son équipe. Ils demandent à des volontaires d’effectuer une tâche répétitive de discrimination visuelle, tout en mesurant précisément leur activité cérébrale grâce à l’électroencéphalographie (EEG) à haute densité.
Les chercheurs observent alors que l’apparition d’ondes lentes dans certaines zones corticales prédit exactement les moments où l’attention des participants se relâche, provoquant des erreurs dans la tâche.
Ces résultats, publiés dans la revue Nature Communications, sont les premiers à établir un lien direct entre ondes lentes et attention pendant l’éveil.
Un « micro-sommeil » dans le cerveau éveillé?
Ces découvertes révolutionnaires amènent les scientifiques à émettre une hypothèse fascinante : et si ces ondes lentes reflétaient l’apparition d’un sommeil localisé dans certaines régions du cortex, le reste du cerveau restant éveillé ?
On sait en effet depuis les années 1990 que le sommeil n’est pas un phénomène global touchant tout le cerveau, mais peut survenir localement dans certaines zones. Des études chez l’animal ont montré que des neurones spécifiques entraient en « sommeil » même en pleine période d’éveil actif.
Chez l’homme, l’imagerie fonctionnelle a également mis en évidence des îlots de cortex « endormis » au sein du cerveau éveillé. Les travaux du Dr Andrillon suggèrent que ce micro-sommeil pourrait envahir temporairement nos régions frontales et perturber notre attention.
Reste à prouver définitivement ce lien. Pour cela, il faudrait enregistrer directement l’activité de populations de neurones pendant ces épisodes d’inattention, par exemple grâce à l’électrocorticographie intracraniale chez des patients épileptiques. Un défi technique à relever!
Une origine à double tranchant
Admettons que le vagabondage de l’esprit soit bien un micro-sommeil cérébral. Mais pourquoi notre cerveau bascule-t-il dans cet état pendant l’éveil?
Plusieurs hypothèses coexistent :
- Un moyen de reposer certaines régions sollicitées en continue, en répartissant la charge neurale sur l’ensemble du cortex.
- Une incapacité de groupes de neurones à maintenir un niveau d’activité soutenu dans le temps, d’où leur basculement en mode « sommeil ».
- Un mécanisme programmé pour alterner périodes d’attention soutenue et phases de relâchement, afin d’éviter l’épuisement.
Quelle que soit l’origine exacte, ce phénomène semble donc à double tranchant : s’il permet probablement de ménager nos ressources cérébrales, il induit aussi une baisse involontaire de nos performances cognitives.
Un contrôle de l’attention qui reste un mystère
L’attention est une fonction cognitive complexe, qui varie beaucoup d’un individu à l’autre. Certains parviennent à rester concentrés plus longtemps que d’autres sur des tâches exigeantes.
Les experts estiment que le vieillissement s’accompagne généralement d’une meilleure résistance aux pertes d’attention, grâce à une propension accrue au micro-sommeil cérébral.
Malgré ces observations, les mécanismes neurocognitifs fin qui régissent notre niveau d’attention et notre capacité à le contrôler consciemment restent mal compris. Les découvertes récentes sur les ondes lentes nous rapprochent un peu plus de la résolution de ce mystère fascinant.
Conclusion
Le vagabondage mental est un phénomène à la fois banal et intrigant. L’identification récente de ses corrélats neuronaux, via l’étude des ondes lentes, ouvre des perspectives prometteuses. Mais de nombreuses questions restent en suspens sur l’origine de ces décrochages attentionnels. Une chose est sûre : ce nouveau champ de recherche permettra d’approfondir nos connaissances sur les subtilités du contrôle de l’attention et de la vigilance.