Madrid suffoque. La capitale espagnole connaît des températures caniculaires, avec des records avoisinant les 40 degrés cette année. Mais pour se rafraîchir, les 3,3 millions d’habitants ne disposent que de 21 piscines municipales, soit environ une pour 157 000 habitants. À titre de comparaison, la ville de Zurich compte 17 piscines publiques pour seulement 400 000 résidents. Cette pénurie chronique de lieux de baignade s’avère particulièrement problématique en période de vague de chaleur.
Des infrastructures saturées et un accès complexe
Faute d’investissements, aucune nouvelle piscine municipale n’a vu le jour à Madrid depuis 30 ans, malgré la croissance démographique. Résultat, l’affluence est telle dans les rares équipements existants que nombre d’habitants renoncent à tenter d’y accéder. C’est le cas de Guadalupe Ramos, 52 ans, qui préfère rester chez elle devant son ventilateur plutôt que d’affronter la cohue.
Depuis la pandémie de Covid-19, la mairie a même complexifié l’accès aux piscines municipales. Les billets ne sont disponibles que sur Internet, 48h à l’avance, et les quotas journaliers sont limités à 18 000. Les rares tickets, qui s’arrachent en quelques minutes, doivent être réservés via des plateformes distinctes selon les arrondissements. Un parcours du combattant numérique qui exclut de fait une partie des habitants.
Des choix politiques contestés
Cette situation exaspère les Madridois, d’autant que la mairie concentre ses investissements sur la rénovation de places emblématiques au détriment des équipements de proximité. « On manque de lieux de rafraîchissement accessibles aux plus modestes, alors que les premières touchées par la chaleur sont les populations vulnérables », déplore Quique Villalobos, président de la Fédération des associations de quartier de Madrid.
Les mesures sanitaires restrictives, comme l’interdiction de rester dans les piscines entre midi et 16h, ont également focalisé les critiques. Sous pression, la ville a finalement assoupli certaines dispositions, mais le mécontentement demeure.
Ces polémiques récurrentes autour de la gestion des piscines reflètent aussi des oppositions politiques entre la mairie de Madrid, aux mains du Parti Populaire (droite), et la région, dirigée par la présidente Isabel Díaz Ayuso, membre du même parti. Chacun se renvoie la responsabilité du manque d’investissement, au détriment des usagers.
Un méga parc aquatique controversé
Face à cette demande croissante de piscines, les pouvoirs publics ont annoncé la construction en 2025 d’un vaste complexe aquatique comprenant une piscine à vagues artificielles. Ce projet pharaonique de 45 millions d’euros, situé près du stade Metropolitano de l’Atlético Madrid, ne convainc pas les habitants.
« Cet argent aurait pu servir à construire dix piscines de quartier bien plus utiles aux Madrilènes », estime Guadalupe Ramos. De plus, l’entrée payante de ce parc aquatique risque d’en exclure une partie de la population.
Une inégalité d’accès à la baignade criante
Derrière ce manque criant d’infrastructures publiques, c’est toute la question de l’inégalité d’accès à la baignade et aux zones de fraîcheur qui se pose. Les nouveaux complexes immobiliers des banlieues huppées sont tous dotés de piscines privées. Madrid compte pas moins de 14 000 de ces bassins réservés aux résidents.
Pendant que les plus aisés barbotent, une majorité d’habitants souffrent de la chaleur, faute de lieux de baignade abordables et en nombre suffisant. Cette situation sanitaire et sociale intenable devra être une priorité de la prochaine mandature municipale. Il en va de la santé des Madrilènes les plus vulnérables.
Canicule et mortalité : des risques accrus pour les plus fragiles
Les vagues de chaleur qui frappent Madrid ont des conséquences sanitaires dramatiques, en particulier chez les personnes âgées et isolées. Lors de l’été 2022, une surmortalité de 18% a été enregistrée dans la capitale par rapport à la normale saisonnière. La chaleur extrême accroît les risques cardiovasculaires et de déshydratation.
Selon l’agence de santé madrilène, près de 70% des 900 décès constatés pendant l’épisode caniculaire concernaient des individus de plus de 85 ans. Or, cette population fragile souffre davantage de la chaleur dans des logements mal isolés, et avec un accès limité à des lieux frais et ombragés.
« Les îlots de chaleur urbains qui se forment dans les grandes villes comme Madrid aggravent l’impact sanitaire des canicules », explique le Dr Martinez, médecin à l’hôpital la Paz.
Les îlots de chaleur urbains désignent des zones densément bâties où la température peut être supérieure de plusieurs degrés par rapport aux alentours plus végétalisés. Le béton, l’asphalte et le manque d’espaces verts amplifient la chaleur.
Plus d’espaces de fraîcheur : une nécessité de santé publique
« Il est urgent de multiplier les lieux de baignade abordables et de développer des îlots de fraîcheur, notamment dans les quartiers les plus carencés », alerte l’urbaniste Alberto Pozas. Piscines éphémères, brumisateurs, aménagement des berges, végétalisation… de nombreuses solutions existent pour offrir à tous des espaces de respiration.
Certaines métropoles comme Paris et Berlin ont mis en place des programmes ambitieux pour développer des zones de fraîcheur et lutter contre les inégalités face aux vagues de chaleur, en ciblant les populations les plus à risque.
Madrid ne peut plus ignorer cet enjeu de santé publique. La municipalité se doit d’agir rapidement pour éviter de nouveaux drames lors des prochains étés caniculaires.