Un secteur immobilier hyperspéculatif
Le secteur immobilier chinois a connu une croissance effrénée ces 15 dernières années, sous l’impulsion de politiques gouvernementales encourageant l’investissement dans l’immobilier. L’accès facile au crédit, avec des prêts bon marché, a alimenté une frénésie de construction, notamment dans les mégapoles comme Pékin, Shanghai et Shenzhen.
Des quartiers entiers sortaient de terre chaque année, composés de tours d’habitation et de bureaux flambant neufs. En 2016, la surface de logements neufs construits atteignait 1,5 milliard de mètres carrés, soit l’équivalent de la surface bâtie en France. Les promoteurs immobiliers chinois ont construit davantage en une décennie que ce que les États-Unis ont bâti en un siècle.
Cet engouement spéculatif a conduit à un découplage entre les prix de l’immobilier et les revenus réels des ménages chinois. Dans certaines villes, il fallait 15 à 20 ans de revenus moyens pour acheter un appartement. Une véritable bulle immobilière s’est formée. Le secteur immobilier représentait 29% du PIB chinois en 2021, soit près du triple de la part dans les économies occidentales.
L’éclatement de la bulle
À partir de 2020, le gouvernement chinois a commencé à prendre des mesures pour dégonfler cette bulle immobilière devenue trop risquée. Les conditions d’octroi de prêts aux promoteurs ont été durcies. L’accès au financement a été restreint par la mise en place de ratios d’endettement et de limitations des préventes, essentielles au modèle économique des promoteurs.
Objectif : assainir un secteur gorgé de dettes et ralentir la construction spéculative, alors que des villes entières restaient quasi-désertes. En parallèle, les autorités ont resserré l’accès au crédit immobilier pour les ménages. Les prix sur le marché résidentiel ont commencé à baisser dans de nombreuses villes.
Ces mesures ont précipité les difficultés de plusieurs promoteurs immobiliers géants, dont le niveau d’endettement était devenu excessif pendant les années fastes. Le promoteur Evergrande, numéro 2 du secteur, s’est retrouvé au bord de la faillite avec près de 300 milliards de dollars de dettes.
D’autres comme China Fortune Land Development ou Greenland Holdings sont également dans une situation proche de l’insolvabilité. Plusieurs ont déjà fait défaut sur leurs obligations en dollars. L’effondrement d’un de ces mastodontes pourrait entraîner celui de nombreux sous-traitants et déclencher une réaction en chaîne.
Un risque systémique limité
Initialement, le risque d’une crise financière systémique semblait limité. Contrairement à la crise des subprimes aux États-Unis, ce sont les ménages aisés et les investisseurs institutionnels chinois qui sont exposés, pas le système bancaire dans son ensemble.
Les banques chinoises sont encore majoritairement publiques. Le shadow banking, ou finance de l’ombre, y est aussi moins développé que dans les pays occidentaux. Ces facteurs limitent les interconnexions et l’exposition globale du système financier au secteur immobilier.
Néanmoins, l’affaiblissement des promoteurs immobiliers pourrait avoir des répercussions en cascade sur l’ensemble du système financier chinois. Leurs défauts de paiement fragiliseraient de nombreuses banques régionales chinoises, qui leur ont massivement prêté ces dernières années avec un laxisme certain.
Un effet domino menacerait donc, risquant de contaminer le système bancaire dans son ensemble. Selon la banque JP Morgan, les banques chinoises sont exposées à hauteur de 1 300 milliards de dollars au secteur immobilier. Soit environ 10% de l’ensemble de leurs prêts.
Un choc pour l’économie chinoise
L’immobilier est un pilier essentiel de l’économie chinoise, représentant avec la construction près du tiers du PIB. Son effondrement aurait un impact majeur sur la croissance. D’après une étude du cabinet Rhodium Group, la contraction attendue du secteur amputerait à elle seule 2 points de croissance du PIB chinois.
Or la Chine est déjà fragilisée par sa politique « zéro Covid », qui a durement frappé l’activité, et par les tensions géopolitiques croissantes avec les Etats-Unis et leurs alliés. Sa croissance, qui dépassait encore 6% avant la pandémie, devrait tomber sous la barre des 3% en 2022. Une récession n’est pas exclue si le secteur immobilier s’effondre.
Le chômage des jeunes diplômés, qui atteint déjà 20%, exploserait. La stabilité sociale, objectif prioritaire du régime communiste chinois, serait alors sérieusement menacée. Face à ce risque, le gouvernement pourrait être forcé d’assouplir sa politique immobilière, au prix d’un nouvel emballement de la dette.
Des répercussions mondiales
En tant que premier importateur mondial de matières premières et premier exportateur de produits manufacturés, le ralentissement de la Chine ne manquera pas d’affecter ses partenaires commerciaux. Les pays d’Asie, fournisseurs de composants industriels, seront en première ligne. Le Japon, la Corée du Sud et Taïwan risquent d’entrer en récession.
L’Allemagne, dont les exportations automobiles et machinistes dépendent fortement du marché chinois, sera également durement impactée. Aux États-Unis, où le découplage est engagé depuis plusieurs années, l’impact sera plus modéré. La Chine ne représente plus que 15% des importations américaines contre 20% en 2018.
Globalement, la crise chinoise ne devrait pas provoquer de récession mondiale systémique comme en 2008. Mais elle contribuera nettement au ralentissement de la croissance observé depuis début 2022, également lié à la fin des politiques monétaires ultra-accommodantes.
Vers un renforcement du pouvoir de Xi Jinping ?
Paradoxalement, l’aggravation des difficultés économiques en Chine pourrait consolider le pouvoir du président Xi Jinping plutôt que l’affaiblir. Comme d’autres dirigeants autoritaires confrontés à la crise, Xi pourrait être tenté d’accentuer la répression politique et le contrôle de l’information pour museler toute contestation.
Il a déjà largement verrouillé le régime depuis son arrivée au pouvoir en 2012, en prenant le contrôle des médias et d’internet, en éliminant ses rivaux politiques et en concentrant les pouvoirs. Sur le plan idéologique, Xi a also réhabilité le rôle de Mao et du Parti Communiste dans l’histoire chinoise. Il entend clairement asseoir un pouvoir absolu et prolongé.
Certains analystes redoutent aussi que le régime ne lance une opération militaire sur Taïwan dans les prochains mois pour détourner le mécontentement populaire croissant face à la stagnation du niveau de vie. La menace d’une invasion, brandie par Xi, prend une dimension de plus en plus concrète.
Conclusions
En résumé, la crise du secteur immobilier chinois aura certainement des répercussions sur l’économie du pays et ses partenaires commerciaux, en particulier en Asie. Mais il est peu probable qu’elle provoque un effet systémique déstabilisant l’économie mondiale.
L’évolution politique de la Chine sera déterminante, entre risque d’autoritarisme accru et espoir d’une réorientation constructive. La capacité de Xi Jinping à surmonter ces difficultés économiques et géopolitiques majeures sera cruciale bien au-delà des frontières chinoises.