La découverte d’une vaste collection de plusieurs milliers de cerveaux humains conservés dans le sous-sol d’une université au Danemark fait polémique dans le pays. Ces cerveaux appartenaient à d’anciens patients psychiatriques et leur prélèvement s’est fait sans le consentement préalable des personnes ni de leurs familles. Si cette collection représente une opportunité scientifique majeure pour la recherche sur les maladies mentales, elle soulève néanmoins de profondes interrogations d’ordre éthique.
Une collection impressionnante et macabre dans les sous-sols universitaires
L’université de Southern Denmark, située dans la ville d’Odense, abrite dans son sous-sol pas moins de 10 000 cerveaux humains soigneusement conservés dans des conteneurs remplis de formol. Il s’agit de la plus importante collection de cerveaux au monde, toutes époques et institutions confondues. Ces organes appartenaient à d’anciens patients de l’hôpital psychiatrique d’Oringe, principal établissement psychiatrique du Danemark durant une grande partie du 20ème siècle. Les cerveaux ont été prélevés lors des autopsies réalisées sur les dépouilles des patients décédés entre 1945 et 1982.
À l’origine, l’objectif des médecins et chercheurs à l’initiative de cette collection était d’étudier les causes physiologiques et neurologiques des principales maladies mentales telles que la schizophrénie, la dépression sévère ou les démences. Ils espéraient que la conservation sur le long terme de ces échantillons permettrait de les analyser des décennies plus tard, lorsque les techniques d’étude du cerveau auraient suffisamment progressé.
Des prélèvements effectués dans un contexte de non-consentement
Le problème majeur avec cette impressionnante collection réside dans le fait que les cerveaux ont été prélevés sans aucune forme de consentement préalable des patients décédés ou de leur famille. À l’époque, dans les années 40 à 80, les patients souffrant de troubles psychiatriques sévères étaient fréquemment internés de force pour de longues périodes. Leurs droits individuels et leur autonomie étaient très limités. Dans ce contexte, le prélèvement post-mortem du cerveau à des fins de recherche ne soulevait pas d’interrogations éthiques particulières.
Aujourd’hui, l’absence de consentement éclairé pose un sérieux dilemme moral. Les patients n’ont à aucun moment accepté que leur cerveau soit conservé et étudié longtemps après leur mort. Ils n’ont pas eu leur mot à dire sur l’utilisation de leur propre organe cérébral. Cette réalité entre en contradiction frontale avec les principes éthiques ayant cours dans la recherche biomédicale moderne, selon lesquels le consentement du patient est obligatoire.
Un débat éthique toujours d’actualité
Depuis les années 2000, l’utilisation de cette vaste collection de cerveaux humains fait l’objet de vifs débats au sein de la communauté scientifique et des instances éthiques du Danemark. Certains estiment qu’il n’est pas acceptable sur le plan moral d’utiliser ce “matériel” humain obtenu dans des conditions aussi douteuses et sans accord explicite des personnes concernées. D’autres considèrent au contraire que ce serait regrettable de gâcher une opportunité aussi unique d’approfondir les connaissances sur des maladies psychiatriques encore trop mal comprises et soignées.
En 2006, le Conseil danois d’éthique a finalement donné son feu vert pour l’utilisation de ces cerveaux dans le cadre de recherches, à condition de respecter l’anonymat le plus complet des donneurs. Environ 2000 cerveaux de patients atteints de schizophrénie vont notamment être étudiés, en croisant les observations cliniques d’époque avec des techniques d’imagerie et d’analyse modernes comme l’IRM.
Par ailleurs, un outil de reconnaissance de texte va analyser les milliers de données manuscrites associées à chaque cerveau, afin d’y détecter des mots-clés pertinents comme “délires”, “hallucinations” ou encore “comportement agité”.
Bien que le débat éthique ne soit pas entièrement clos, force est de constater que cette collection hors norme ouvre des perspectives scientifiques extrêmement prometteuses dans un domaine où domine encore beaucoup d’inconnues. À condition, cependant, de traiter ces précieux échantillons humains avec toute la prudence, le discernement et le respect qui s’imposent.