Dr. Walmart: L’essor des soins de proximité dans les grandes surfaces

Un médecin pas comme les autres

Dr. Ronald Searcy, vêtu de sa longue blouse blanche, arborant fièrement son stéthoscope, accueille ses patients avec courtoisie et bienveillance. Son enthousiasme maladroit pour la “gestion de la santé de la population” et la médecine “centrée sur le patient” le place en tant que figure idéale du médecin généraliste platonicien. Mais ce qui distingue véritablement Dr. Searcy de ses pairs, c’est l’endroit où il exerce : un établissement compact logé au cœur d’un Walmart dans le nord-ouest de l’Arkansas. Depuis 2019, Walmart a inauguré pas moins de 32 “centres de santé” similaires dans cinq États, avec pour objectif de plus que doubler ce nombre d’ici la fin de l’année prochaine et d’étendre ce service à deux autres États.

Un secteur en pleine expansion

Mais Walmart n’est pas le seul géant de la distribution à s’impliquer dans le domaine médical. En début d’année, Amazon a acquis One Medical, une conciergerie médicale opérant dans plusieurs villes américaines. Dollar General, un distributeur discount, a également conclu un partenariat avec DocGo, spécialiste des cliniques médicales mobiles, afin de lancer un programme pilote dans trois de ses magasins dans le Tennessee. Walgreens et CVS, deux chaînes de pharmacies bien établies, ont elles aussi développé une offre solide de soins de base. Rien qu’en 2022, plus de 5,5 millions de patients ont fréquenté une “CVS MinuteClinic”, faisant de celle-ci l’un des plus grands prestataires de soins du pays. CVS a même finalisé l’acquisition d’Oak Street Health, un fournisseur de soins de proximité pour les personnes âgées présent dans 21 États. Alors, qu’est-ce qui attire ces entreprises vers le secteur médical ? La réponse à cette question complexe et énigmatique reflète la nature intrinsèque et déroutante du système de santé américain.

La complexité du système de santé américain

La première réponse est on ne peut plus évidente : l’argent. Les dépenses de santé aux États-Unis sont astronomiques, représentant environ 18 % du PIB en 2021, bien au-delà de la moyenne des pays riches, qui avoisine les 10 %. Cela dépasse même le double du ratio observé dans certains pays comme la Corée du Sud, dont la population jouit d’une meilleure santé et d’une plus longue espérance de vie. On prévoit que les dépenses de santé augmenteront de 5,4 % par an au cours des huit prochaines années, dépassant ainsi le taux de croissance économique, pour atteindre près de 20 % du PIB en 2031. La majeure partie de ces dépenses sera supportée par Medicaid et Medicare, les programmes fédéraux couvrant respectivement les soins des plus démunis et des personnes âgées de plus de 65 ans.

La complexité réside également dans les changements en cours au niveau du financement de la couverture médicale par les assureurs, y compris Medicaid et Medicare, ainsi que dans les nouvelles attentes des consommateurs vis-à-vis de cette couverture.

La révolution des soins basés sur la valeur

Penchons-nous sur les assureurs. Le modèle de paiement prédominant repose sur le remboursement à l’acte, où les médecins sont rémunérés pour chaque visite ou procédure effectuée. Si ce système est simple, il encourage également la surconsommation de soins médicaux, sans pour autant garantir des résultats probants. Les médecins perçoivent le même montant, que le patient guérisse ou non.

Entre 2016 et 2021, la part des dépenses de santé allouée aux “modèles de paiement alternatifs” est passée de 29 % à 40 %. Selon une enquête menée en 2022, la plupart des participants qui adhèrent à ces modèles estiment qu’ils vont continuer à se développer, notamment ceux qui permettent aux médecins de partager les bénéfices liés à la santé de leurs patients. Cette approche, connue sous le nom de “soins basés sur la valeur” (VBC), découle de l’Affordable Care Act, plus communément appelé Obamacare. Plutôt que de rémunérer les médecins pour chaque acte médical effectué, le VBC les incite à s’engager à maintenir leurs patients en bonne santé. Par exemple, si un patient souffrant d’une maladie chronique prend régulièrement ses médicaments et évite une hospitalisation, les médecins peuvent partager les économies réalisées. Les entreprises parient donc sur le fait qu’elles peuvent générer davantage de revenus grâce à ce modèle qu’avec l’ancien système.

Le changement des habitudes des consommateurs

Les distributeurs qui se lancent ou étendent leur offre de soins de proximité misent également sur un changement des habitudes des consommateurs. Selon une récente enquête de la société de conseil Accenture, près d’un tiers des consommateurs – et plus d’un tiers des personnes âgées de 18 à 35 ans – seraient prêts à se faire soigner dans une épicerie ou une grande surface. De plus, plus de 90 % des clients seraient disposés à confier leurs données médicales à un détaillant. Les distributeurs estiment que cette marque de confiance, combinée à leur présence géographique (75 % des Américains vivent à moins de 8 kilomètres d’un Dollar General et 90 % à moins de 16 kilomètres d’un Walmart), assure leur succès dans ce domaine.

Les applications de santé : nécessaires mais pas suffisantes

Les avancées technologiques contribuent également à l’amélioration du modèle VBC, offrant aux assureurs davantage de moyens pour évaluer l’efficacité d’un médecin et permettant à ces derniers de rester en contact avec leurs patients. Par exemple, Walmart Health et One Medical utilisent des applications fournissant aux patients un suivi de leurs soins, y compris les rendez-vous à venir et les dates de renouvellement des ordonnances. Ces entreprises disposent également de pharmacies internes vers lesquelles elles peuvent orienter les patients. Cependant, il convient de noter que le rôle du médecin généraliste en tant que coordinateur et contrôleur des soins médicaux reste essentiel. Certains craignent que le modèle VBC n’incite les assureurs à refuser d’orienter les patients vers des spécialistes lorsque cela est nécessaire, afin de préserver les économies réalisées. Toutefois, si l’état de santé du patient se détériore, ces coûts seront également partagés.

La gestion de ce risque s’avère délicate. Les soins proactifs nécessitant un contact régulier avec les patients, exigés par le modèle VBC, peuvent être moins coûteux grâce aux smartphones, mais ils ne sont pas pour autant bon marché. Les prestataires doivent investir dans la technologie, mais ils peuvent également avoir besoin de contacter les patients par téléphone ou de leur rendre visite à domicile – des tâches que les applications ne peuvent pas accomplir. Les entreprises qui ne tiennent pas compte de cet aspect auront du mal à s’en sortir. En revanche, celles qui réussiront à relever ce défi augmenteront leur part du gâteau colossal qu’est le système de santé américain, aussi brillant qu’inefficace, et pourront par la même occasion contribuer à une meilleure santé pour la population.

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