Le Concept d’Animaux Susceptibles d’Occasionner des Dégâts : Une Vision Controversée

À l’heure où la biodiversité se conçoit comme un ensemble d’écosystèmes en interactions, la notion de nuisibles peut paraître réductrice. Dans le même temps, les propriétaires terriens, agriculteurs ou autres, sont demandeurs d’une forme de protection pour leurs biens et leurs sources de revenus. Alors, ces deux exigences sont-elles conciliables ? Le concept d’animaux susceptibles d’occasionner des dégâts suscite de vives discussions en France. Dans cet article, nous explorerons ce concept controversé et ses implications pour la faune, la flore et l’écologie en général.

Le Passage du Terme « Nuisible » à « Espèce Susceptible d’Occasionner des Dégâts »

En 2016, le terme de « nuisible » a disparu au profit d' »espèce susceptible d’occasionner des dégâts ». Pourquoi ce changement de vocabulaire ? Sarah El Haïry, Secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, explique : « Le mot ‘nuisible’ est inadapté, biaisé et réducteur. En votant la loi Biodiversité en 2016, les termes d’animaux malfaisants ou nuisibles ont été retirés de la partie législative du code de l’Environnement pour être remplacés par ‘animaux susceptibles d’occasionner des dégâts’, qui est simplement factuel. »

Nicolas Loeuille, Professeur d’écologie à Sorbonne Université, ajoute : « Nombre de scientifiques avaient effectivement signalé que les termes ‘nuisible’ et ‘utile’ étaient dépassés en écologie : ils véhiculent une vision utilitariste de la nature. Le problème, c’est que ‘espèce susceptible d’occasionner des dégâts’ recèle cette même idée. »

Comment Sont Choisies les Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts ?

Selon Sarah El Haïry, « On considère qu’une espèce est susceptible d’occasionner des dégâts si elle a un impact sur la santé et la sécurité publiques, si elle est un danger pour la faune et la flore, ou si elle engendre d’importants dommages aux activités agricoles, forestières, aquacoles, etc., ou à d’autres formes de propriété. »

Nicolas Loeuille remet en question cette approche : « Cette liste est un héritage du passé, transmise de génération en génération, avec des variantes mais sans modification fondamentale. Elle est basée sur des impressions d’abondance d’espèces perçues, mais je doute que ces espèces soient vraiment plus nombreuses qu’elles ne l’étaient il y a un siècle… »

L’Évolution de la Liste en 2021

La liste d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts a été mise à jour en 2021. Sarah El Haïry précise : « Plusieurs cas d’animaux ont été évalués au regard des motifs de classement prévus par le code, du volume de dégâts causés ces dernières années et de l’état de leur population dans chaque département. Il y a toutefois eu peu de changement dans la nouvelle liste, à l’exception notable de la sortie du putois, qui n’est désormais plus considéré comme susceptible d’occasionner des dégâts. »

Nicolas Loeuille commente cette évolution : « La principale évolution, c’est en effet le retrait du putois, dont la population s’est effondrée. Cette liste a toujours été fluctuante, avec des espèces nuisibles soudainement considérées comme utiles : c’est le cas de rapaces nocturnes longtemps cloués sur les portes des granges par superstition, et laissés en paix aujourd’hui parce qu’ils chassent les rongeurs. Dans les deux cas, c’est une fausse route : les réseaux d’interactions sont si complexes qu’il est impossible de déterminer l’impact de chaque espèce. »

Est-il Encore Nécessaire d’Établir une Liste d’Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts ?

Nicolas Loeuille exprime son point de vue : « Je ne pense pas. Certaines espèces ont des impacts directs sur nous, certes. Mais en concevant la nature autrement que par une réflexion anthropocentrée, on s’aperçoit que ces effets peuvent être compensés : le renard mange les poules, mais aussi les campagnols qui, eux, détruisent les cultures… Les êtres vivants ne sont pas isolés, il faut regarder le puzzle dans son ensemble. »

Sarah El Haïry, en revanche, défend la nécessité de cette liste : « Elle n’a pas pour but d’éradiquer les espèces concernées, mais de les réguler afin de limiter les perturbations et les dégâts. C’est un droit de protection à l’attention des propriétaires, possesseurs ou fermiers, strictement encadré par le code de l’Environnement. »

Des Solutions Alternatives à la Chasse

Nicolas Loeuille propose une approche différente : « On pourrait s’appuyer sur les réseaux d’interaction des écosystèmes. Des travaux en Eurasie et Amérique du Nord ont montré qu’il y a 6 fois moins de cervidés dans les forêts où les loups sont présents. La prolifération d’espèces considérées comme problématiques pourrait donc être réduite si leurs prédateurs naturels étaient plus nombreux dans les écosystèmes français. Sauf que ces prédateurs sont aussi classés ‘problématiques’. »

Sarah El Haïry conclut en évoquant des efforts futurs : « Définir d’autres moyens de prévention est en effet une possibilité. Nous allons d’ailleurs prochainement conduire un travail d’amélioration globale du dispositif dans ce sens, en réunissant en particulier des représentants des chasseurs et des associations de protection de l’environnement. »

Conclusion

La question des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts continue de susciter des débats passionnés en France. Alors que certains remettent en question l’utilité de cette liste, d’autres la voient comme un moyen de protéger les intérêts des propriétaires et de limiter les perturbations écologiques. Les solutions alternatives, telles que la régulation des prédateurs naturels, sont également à l’étude. L’avenir de la réglementation sur les espèces nuisibles reste donc incertain, mais il est clair que cette question continuera à occuper une place importante dans le domaine de la biodiversité en France.

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