Un mastodonte chinois au bord du gouffre
Country Garden, l’un des plus grands promoteurs immobiliers de Chine, est au bord de la faillite. Le groupe, endetté à hauteur de 150 milliards d’euros, n’a pas été en mesure de rembourser deux échéances d’intérêts la semaine dernière. Il fait désormais face à un risque de défaut de paiement en septembre s’il ne règle pas ses dettes.
Cette situation dramatique illustre les difficultés croissantes du secteur immobilier chinois, pilier de la croissance économique du pays ces dernières décennies. Suite aux politiques adoptées par Pékin pour limiter l’endettement excessif des promoteurs, les financements se sont taris pour les groupes déjà lourdement endettés comme Country Garden.
Pourtant, le groupe fondé dans les années 1990 par Yang Guoqiang, avant d’être repris par sa fille Yang Huiyan, était considéré comme l’un des promoteurs les plus solides financièrement. Il s’était hissé dans le classement Forbes des 500 plus grandes entreprises mondiales.
Une crise aux répercussions systémiques
Si Country Garden venait à s’effondrer, l’impact sur l’économie chinoise serait dévastateur. Tout comme la faillite d’Evergrande l’an dernier, cela enverrait un signal catastrophique aux investisseurs étrangers et provoquerait une défiance généralisée à l’égard du secteur immobilier chinois.
Or, ce secteur pèse lourd dans la croissance du pays, représentant avec la construction près du quart du PIB chinois. La fièvre immobilière a aussi alimenté la demande en matières premières et stimulé de nombreux secteurs, de l’acier au ciment en passant par l’électroménager et l’ameublement.
Une crise immobilière entraînerait donc des répercussions en chaîne dans toute l’économie, avec un fort risque de récession. D’autant que le secteur est étroitement lié au système bancaire chinois, les promoteurs étant les premiers emprunteurs des banques.
Un endettement colossal
Comment Country Garden en est-il arrivé là ? Le groupe a profité pendant des années du boom immobilier chinois, investissant massivement et s’endettant fortement pour financer ses projets immobiliers, essentiellement dans des villes de second rang.
Son endettement atteint désormais des sommets vertigineux, de l’ordre de 150 à 200 milliards d’euros selon les estimations. Rien que sur 2024, 31 milliards d’euros de dettes arrivent à échéance. De quoi donner le vertige à ses créanciers !
Cette stratégie a longtemps porté ses fruits, Country Garden multipliant les projets ambitieux comme la construction de la plus grande ferme verticale du monde. Mais le retournement du marché immobilier a fait voler en éclats ce modèle.
Un marché immobilier exsangue
En restreignant l’accès au crédit depuis 2020, les autorités chinoises cherchaient à juguler la spéculation immobilière et l’endettement effréné des promoteurs. Résultat, les ventes se sont effondrées, laissant les groupes surendettés dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts.
Sur un an, les prix ont chuté dans 70 villes chinoises. Les stocks de logements invendus s’accumulent, atteignant l’équivalent de plusieurs années de ventes dans certaines villes. La défiance des acheteurs est exacerbée par la peur de voir les promoteurs faire faillite et ne pas achever les chantiers. Un cercle vicieux qui affaiblit encore plus les groupes immobiliers.
Dans ce contexte déprimé, Country Garden ne parvient plus à écouler ses logements ni à obtenir de nouveaux prêts pour rembourser ses dettes. Sa patronne Yang Huiyan s’est excusée platement dans une lettre aux créanciers, promettant de sauver le groupe. Mais sans rebond du marché, ses chances de survie semblent bien minces.
Pékin cherche à rassurer
Conscient des risques systémiques, le gouvernement chinois tente de rassurer en minimisant l’impact des difficultés immobilières sur la croissance du pays. Il vise toujours 5% de hausse du PIB cette année.
Mais entre la politique zéro-covid qui pénalise lourdement l’activité, la sécheresse historique qui menace les récoltes, et la crise de l’immobilier, l’économie chinoise apparaît bien fragile.
La faillite éventuelle de Country Garden ne ferait qu’accroître les vulnérabilités du pays, highly dépendant de la spéculation immobilière pour soutenir sa croissance. Sortir de cette addiction sans casse sociale et financière s’annonce comme un immense défi pour Pékin.
Le mirage de la propriété
Pendant des décennies, acquérir un logement a été le rêve de millions de Chinois, symbole d’une ascension sociale que le Parti communiste promettait d’accompagner. Acheter un bien, souvent avant même le mariage, relevait d’un passage obligé. Quitte à s’endetter lourdement sur 20 ou 30 ans.
Cet engouement pour la pierre était savamment entretenu par les promoteurs immobiliers et les collectivités locales, dont les finances dépendaient étroitement des recettes tirées de la vente de terrains constructibles.
Mais derrière ce mirage, la réalité du marché chinois est bien moins florissante. Surpeuplement des mégapoles, logements surdimensionnés et inabordables pour beaucoup, chantiers à l’arrêt faute d’acheteurs… autant de signaux d’une bulle immobilière en train d’éclater.
Des acquéreurs méfiants
La frénésie immobilière des Chinois a aussi été nourrie par le manque d’alternatives crédibles pour placer leur épargne, dans un pays où le marché financier est encore embryonnaire.
Mais face aux risques de faillite des promoteurs et à la chute des prix, les acquéreurs se montrent de plus en plus prudents. Les ventes immobilières ont plongé de 22% au premier semestre 2022.
Certains propriétaires boycottent même le remboursement de leur prêt immobilier, inquiet de ne jamais recevoir leur appartement. Ce mouvement inédit de “grève du crédit” complique encore la tâche des promoteurs, déjà à la peine.
Vers un atterrissage en douceur ?
Consciente du risque systémique, la Banque centrale chinoise a commencé à assouplir sa politique monétaire pour éviter un crash immobilier. Elle a abaissé certains taux d’intérêt et pris des mesures pour soutenir les promoteurs en difficulté.
De leur côté, les collectivités locales tentent d’écouler leurs stocks en multipliant les incitations fiscales pour les acheteurs. Mais le chemin est étroit entre assouplissement du marché et aggravation de la spirale spéculative.
L’atterrissage en douceur du secteur immobilier, sans vague de faillites ni effondrement des prix, relève de la quadrature du cercle pour Pékin. L’enjeu est colossal pour la stabilité sociale et financière du pays.