Le superpouvoir de repousse de la queue du lézard
Lorsqu’il est menacé, le lézard a la capacité unique parmi les vertébrés de sectionner sa queue pour échapper à son prédateur. Et contrairement à d’autres espèces comme le gecko, la queue du lézard repousse ensuite intégralement. « C’est une sorte de superpouvoir qu’ont les lézards. Ils peuvent régénérer de grandes quantités de cartilage, qui ne deviennent pas de l’os », souligne Thomas Lozito, principal auteur de l’étude publiée dans Nature Communications. En effet, la quasi-totalité du squelette du lézard est constitué de cartilage.
Cette capacité de régénération est vitale pour le lézard. En sacrifiant sa queue, il augmente ses chances de survie face à un prédateur. La repousse de la queue lui permet ensuite de retrouver ses capacités de locomotion et d’équilibre habituelles. On estime que la queue repousse en quelques semaines ou mois. Le lézard produit alors de grandes quantités de cellules souches qui se différencient pour reconstituer les tissus de la queue.
Jusqu’à présent, les mécanismes cellulaires à l’origine de cette repousse exceptionnelle restaient mystérieux. Pourtant, des travaux antérieurs avaient montré que ce processus de régénération n’était pas sans risque pour l’animal, engendrant un stress oxydant. Identifier les cellules impliquées dans la reconstruction du cartilage pourrait donc ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques chez l’humain.
Le rôle clef de deux types cellulaires
Pour percer le secret de la queue du lézard, les chercheurs ont étudié finement les changements d’expression génétique au sein des cellules lors de la repousse. Ils ont identifié deux types cellulaires jouant un rôle central dans ce phénomène de régénération : les fibroblastes et les septoclastes.
Les fibroblastes sont des cellules ubiquitaires connues pour leur rôle dans la production des fibres de collagène. Ils sont notamment impliqués dans la cicatrisation chez les mammifères. Chez le lézard, ils sont responsables de la production du tissu cartilagineux lors de la régénération de la queue.
Les septoclastes, qui sont des cellules immunitaires, inhibent quant à eux la cicatrisation et la fibrose, permettant ainsi à la queue de repousser sans obstacle. « Ces deux types de cellules travaillent donc ensemble et sont aux fondements du principe de régénération », analyse Thomas Lozito.
Induire la repousse du cartilage chez les mammifères
Forts de cette découverte, les chercheurs se sont demandé s’il était possible d’induire la repousse du cartilage dans d’autres membres que la queue, qui ne repoussent habituellement pas. Ils ont alors implanté des septoclastes dans les pattes du lézard. Résultat : les pattes ont bien présenté une capacité de régénération du cartilage !
Cette expérience démontre que l’on peut étendre le « super pouvoir » régénérateur du lézard à d’autres parties de son corps. L’implantation ciblée de certains types cellulaires pourrait donc permettre d’induire la repousse de tissus chez d’autres animaux. Des recherches complémentaires sont toutefois nécessaires pour comprendre l’interaction entre les différents types cellulaires et identifier les facteurs déclenchant la régénération.
Si ces premiers résultats sont prometteurs, des investigations supplémentaires sont nécessaires pour comprendre plus en détail les mécanismes de communication intercellulaire impliqués. L’étude de l’ARN des cellules clefs pourrait notamment apporter de précieuses informations.
À terme, les scientifiques espèrent pouvoir tester l’implantation de septoclastes chez les mammifères comme la souris. Cette approche novatrice pourrait déboucher sur de nouvelles pistes thérapeutiques contre l’arthrose, pathologie dégénérative douloureuse qui affecte des millions de personnes dans le monde et reste incurable à ce jour.