Pétrole libyen : le maréchal Haftar fait le coup de la vanne

Le chef militaire menace de perturber l’approvisionnement en brut

La Libye connaît un nouvel épisode de chantage au robinet. Le maître chanteur – multirécidiviste – est le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque, la province de l’Est qu’il administre d’une main de fer depuis 2017. Lundi, devant des officiers de son autoproclamée armée nationale libyenne (ANL) réunis à son quartier général de Rajma, près de Benghazi, il a exigé la création d’une «haute commission chargée de mettre en place les dispositions financières en vue d’une gestion équitable des fonds publics» et des revenus pétroliers. Haftar a posé un ultimatum, donnant «jusqu’à fin août pour que cette commission complète sa mission». Faute de quoi, «les forces armées seront prêtes à répondre aux instructions le moment venu», a-t-il menacé. Sous-entendu : bloquer, comme il l’a déjà fait dans le passé, l’accès aux terminaux pétroliers.

Son pouvoir de nuisance est réel : les trois quarts des capacités pétrolières de la Libye (puits, oléoducs, terminaux) sont situés dans la zone d’influence de Khalifa Haftar et de ses auxiliaires, dont la compagnie de sécurité russe Wagner. En revanche, le maréchal septuagénaire n’a pas la main sur les recettes de la National Oil Corporation (NOC), la compagnie d’Etat qui exploite la plus grande partie du brut libyen et reverse ses bénéfices à la Banque centrale de Libye, à Tripoli. L’institution financière, dirigée par l’inamovible Siddiq al-Kabir, son patron depuis la chute de Kadhafi en 2011, ne reconnaît pas le gouvernement parallèle que Haftar et ses alliés ont installé à Benghazi. «Tous les mois, la banque centrale reverse 250 millions de dinars [environ 50 millions d’euros, ndlr] à l’Est rien que pour payer les salaires de ses forces, indique Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité. C’est trop peu pour Haftar, même si en réalité c’est loin d’être sa seule ressource : il a la main dans tous les trafics de la Cyrénaïque.»

Une revendication basée sur des inégalités perçues

Haftar revendique une part de 27 % du budget national pour la Cyrénaïque, en fonction de son poids démographique. «L’Est de la Libye est très riche en ressources et estime que la région est lésée par la répartition actuelle, ressentie comme une injustice, rappelle Oussama Assed, directeur du Libyan Research Center for Strategic and Future Studies. Khalifa Haftar est sous pression. Les gens de l’Est qui l’ont accueilli [il est originaire de l’Ouest, ndlr] comptaient sur lui pour obtenir un rééquilibrage politique et économique en leur faveur. Ils lui ont donné des combattants, du pouvoir, mais il n’a rien obtenu. Il doit montrer qu’il ne les oublie pas.» Mettra-t-il ses menaces à exécutions à la fin de l’été ? «Je ne pense pas, ça serait un suicide politique, estime l’analyste. Cela lui poserait de trop gros problèmes avec les Américains.» Washington – qui a besoin du pétrole libyen sur le marché mondial pour éviter une flambée des prix – a mis en garde Haftar contre toute tentative de fermer les vannes, alors que la production atteint 1,2 million de barils par jour, selon le site spécialisé Argus. Soit 75 % de la capacité pétrolière de l’ère Kadhafi.

Des tensions internationales et des enjeux complexes

«Les Etats-Unis exhortent les acteurs politiques libyens à abandonner les menaces de fermeture du secteur pétrolier», avait tweeté l’envoyé spécial américain en Libye, Richard Norland, le 30 juin, après une première sommation d’Oussama Hamad, le chef du gouvernement parallèle de Benghazi, sur la répartition des revenus pétroliers. Haftar – qui possède la double nationalité libyenne et américaine – en a profité pour bomber le torse : «Cessez de fourrer votre nez dans les affaires des Libyens», a-t-il répondu au «dénommé Norland», en fustigeant les «ingérences» étrangères, sous les applaudissements de ses officiers. Un comble pour un chef de guerre longtemps parrainé par l’Egypte, les Emirats arabes unis, la Russie et à moindre échelle la France. «Haftar est fébrile, car les Emiratis se détachent de plus en plus de lui et se rapprochent de Tripoli et du Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah, qui leur a donné des garanties en matière de politique pétrolière et d’accès aux ressources portuaires», explique Oussama Assed. Moscou se prépare également à rouvrir son ambassade dans la capitale, suggérant un rééquilibrage de sa diplomatie libyenne, au grand dam du maréchal.

Les enjeux économiques et politiques du partage des revenus pétroliers

Le partage de la gigantesque manne pétrolière – le pays dispose des plus grandes réserves du continent – reste l’une des causes profondes de la crise libyenne. L’accès aux postes de pouvoir est avant tout un moyen de capter, ou d’être en mesure de rediriger, la fabuleuse ressource financière qui en découle, qu’elle soit versée sous forme de salaires (le pays compte officiellement 2,4 millions de fonctionnaires sur une population de 7 millions d’habitants), de contrats ou de facilités de crédit accordées par la banque centrale. Les acteurs politiques et les groupes armés qui ont prospéré depuis 2011 se battent pour obtenir – ou préserver – leur part du gâteau. Aucun ne voit d’un bon œil la perspective d’élections transparentes, libres et indépendantes, qui viendraient rebattre les cartes et les positions de pouvoir.

Un processus de normalisation politique difficile

L’ONU s’accroche pourtant à cette perspective d’un scrutin qui permettrait une réconciliation nationale, de réunifier les institutions et d’offrir enfin une légitimité populaire à des dirigeants aujourd’hui unanimement rejetés pour leur corruption et leurs divisions. Ses espoirs reposent sur le processus dit «6+6», un format de négociation incluant six représentants du Parlement (à l’Est) et six du Haut-Conseil d’Etat (à l’Ouest). Réuni à Bouznika, au Maroc, le comité «6+6» s’est mis d’accord sur un futur cadre législatif pour des élections présidentielle et parlementaires censées se tenir avant la fin de l’année.

L’envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, Abdoulaye Bathily, a «reconnu que les efforts du comité 6+6 constituent une avancée importante, même s’ils ne suffisent pas à résoudre les questions les plus contestées et à permettre la tenue d’élections réussies». Il a notamment pointé les «graves lacunes et insuffisances techniques des projets de loi», obstacles majeurs sur la route des élections. En premier lieu, «les critères d’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle», notamment la question du statut des militaires et de la double nationalité, deux critères qui visent directement la candidature d’Haftar. Ensuite, «la disposition stipulant qu’en cas d’échec du premier tour de l’élection présidentielle, les élections législatives n’auront pas lieu», qui risquerait de voir les députés insatisfaits des résultats refuser de les reconnaître. Enfin, «la disposition exigeant la mise en place d’un nouveau gouvernement intérimaire avant que les élections puissent avoir lieu».

Cette dernière exigence a surtout pour but de renverser le Premier ministre Dbeibah,…

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