Le défi de la cohérence en Europe pour la réindustrialisation de l’UE

L’importance d’une stratégie commune pour la réindustrialisation de l’Europe

L’Union européenne est confrontée à des défis majeurs dans sa quête pour moderniser son industrie, verdir son économie et développer les technologies de demain. Alors que la Chine et les États-Unis prennent des mesures volontaristes pour renforcer leurs secteurs industriels, l’Europe doit-elle adopter une stratégie commune ? La volonté politique est présente, mais des incertitudes persistent quant aux outils à utiliser. Analyse approfondie.

Lors du Forum économique mondial de Davos en janvier dernier, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a dévoilé son ambition de faire de l’Europe le foyer des énergies propres. Cette déclaration d’ambition forte témoigne de l’urgence de la situation.

Dans son discours, la présidente de la Commission a dénoncé les tentatives agressives d’autres pays, en particulier la Chine, pour inciter les industriels européens des énergies vertes à délocaliser leur production. Elle a également pointé du doigt les États-Unis et leur vaste plan protectionniste, l’Inflation Reduction Act (IRA), visant à rapatrier l’industrie décarbonée sur le sol américain. Face à cette concurrence des poids lourds économiques mondiaux, l’Europe prétend avoir un plan pour se positionner en tête de la course aux innovations vertes.

Un changement de cap à Bruxelles

Ce discours volontariste marque un véritable changement de ton dans une Union européenne qui s’est construite sur le principe du libre-échange, où toute mention d’une politique industrielle était longtemps taboue, souligne Thomas Grjebine, économiste et responsable du pôle macroéconomie et finance internationales au CEPII.

La mise en place d’une politique industrielle est une idée très récente qui va à l’encontre du logiciel traditionnel européen. Face aux défis tels que la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, le dérèglement climatique, l’essor de la Chine et le regain d’influence des États-Unis symbolisé par l’IRA, une prise de conscience s’opère quant à l’incapacité du libre marché à résoudre seul ces enjeux. Cela implique notamment un assouplissement des règles strictes entourant les aides d’État.

Trois grands textes pour soutenir l’industrie européenne

Plusieurs textes sont en cours d’élaboration à Bruxelles afin de soutenir l’industrie européenne face à la concurrence internationale, tandis que les sanctions imposées à la Russie font grimper les prix de l’énergie et d’accompagner sa transition vers les énergies propres. Le Net Zero Industrial Act, présenté par Ursula von der Leyen à Davos en janvier, vise à simplifier et accélérer les procédures de délivrance de permis pour les nouveaux sites de production de technologies propres,

tout en rendant les projets stratégiques dans les énergies renouvelables éligibles à des aides d’État conséquentes. Ce texte sera soumis au vote du Parlement européen à l’automne.

Le CHIPS Act européen, inspiré de son homologue américain, vise à soutenir l’industrie des semi-conducteurs en Europe. Actuellement, l’UE produit moins de 10 % des semi-conducteurs dans le monde, contre 40 % il y a trente ans. Ce texte prévoit un investissement public de 42 milliards d’euros dans l’industrie des semi-conducteurs en Europe, avec des subventions pour faciliter l’implantation d’usines sur le continent. Un accord politique sur ce texte a été conclu entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne le 18 avril dernier.

En mars, la Commission a également publié un ensemble de recommandations sur les matières premières critiques pour sécuriser les approvisionnements de l’UE en matériaux et minerais essentiels à la transition écologique.

L’objectif d’ici 2030 est que l’extraction et la transformation de ces matières premières en Europe permettent de produire respectivement entre 10 et 40 % de la consommation annuelle de l’UE. Ce règlement devra encore être débattu et voté par le Parlement européen et le Conseil avant d’entrer en vigueur.

Éviter la surenchère entre les États membres

En adoptant une politique industrielle proactive, Bruxelles cherche à défendre la position de l’UE dans la transition écologique face aux grandes puissances étrangères et à éviter que les États membres européens n’adoptent chacun leur propre politique industrielle, centrée uniquement sur leurs intérêts nationaux. Malheureusement, cette tendance est déjà perceptible. À l’automne dernier, l’Allemagne a annoncé un plan de soutien de 200 milliards d’euros pour son industrie et ses ménages. Les Pays-Bas prévoient également de débloquer 28 milliards d’euros pour verdir leur économie, notamment en investissant dans les énergies propres et les véhicules électriques. Le plan France 2030 prévoit quant à lui un déploiement de 54 milliards d’euros sur 5 ans pour développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir.

L’annonce de l’implantation d’une nouvelle usine d’Intel en Europe a également suscité une concurrence acharnée entre la France et l’Allemagne (remportée finalement par l’Allemagne), un scénario qui pourrait se répéter alors qu’Elon Musk courtise les dirigeants européens en leur offrant de nouveaux investissements de son entreprise sur le Vieux Continent.

L’Europe a clairement l’intention de localiser sur son territoire les nouvelles usines de composants pour les technologies propres, mais elle manque actuellement de capacité pour débloquer des fonds à long terme et d’un cadre d’investissement garanti par le secteur public pour attirer les investisseurs privés, à l’instar de ce que font les Chinois depuis des décennies et des Ét

ats-Unis avec l’IRA. Il reste encore à inventer un tel cadre à l’échelle européenne, souligne Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe à l’Institut de l’économie pour le climat.

Les initiatives nationales actuelles sont moins puissantes que si elles étaient coordonnées à l’échelle du continent. Chaque État apportant des aides aux entreprises, l’Europe dispose déjà de montants similaires à ceux débloqués par l’IRA. La différence réside dans le manque de coordination stratégique entre les États, ce qui limite l’effet de levier. L’IRA prévoit un plan sur l’hydrogène, et nous souhaitons également miser sur cette énergie, mais nous avons 27 plans de plus petite envergure susceptibles de concurrencer les uns les autres sans mutualiser les moyens, explique Anaïs Voy-Gillis.

L’essor des PIIEC

Une solution pour contourner cette difficulté réside dans les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui favorisent l’innovation européenne transnationale et stratégique. Ces projets permettent aux gouvernements, sous réserve de l’approbation de la Commission, de contourner les règles strictes encadrant les aides d’État dans certains secteurs stratégiques, en finançant des projets grâce à des subventions publiques destinées à soutenir les financements privés.

Cela favorise les synergies entre les États et accélère les innovations de rupture, palliant l’une des faiblesses du Vieux Continent, selon Vincent Charlet, directeur de La Fabrique de l’industrie. L’Europe n’est pas un berceau d’innovations de rupture dans la transition énergétique, et les PIIEC constituent un pas dans la bonne direction, à l’image du programme Apollo : nous décidons de notre destination et nous nous donnons les moyens d’y parvenir. C’est un outil de volontarisme politique qui faisait jusqu’à présent défaut dans l’UE.

À ce jour, six PIIEC ont été lancés. Le premier, lancé en décembre 2018 et axé sur la microélectronique, vise à produire de nouvelles générations de composants pour les marchés de l’automobile, de l’énergie, des objets connectés, de l’aérospatiale et de la sécurité. Un PIIEC sur les batteries a été lancé en 2019, visant à produire des cellules et modules de batteries automobiles dès la fin 2023. Un deuxième PIIEC, approuvé en janvier 2022, réunit douze pays et 42 entreprises, dont Tesla, avec des financements publics de 2,9 milliards d’euros et un investissement privé de 9 milliards. Deux PIIEC sur l’hydrogène vert ont également été lancés, ainsi qu’un deuxième sur la microélectronique en juin, rassemblant 14 États membres prêts à investir 8 milliards d’euros et 56 entreprises prêtes à investir 14 milliards d’euros pour développer la chaîne de valeur européenne des semi-conducteurs.

Le risque d’une Europe à deux vitesses

Cependant, les PIIEC risquent également d’accentuer les fractures au sein de l’économie européenne, créant une disparité entre les pays prospères du Nord, capables d’investir pour soutenir leur industrie et sa conversion vers les énergies propres, et les pays du Sud dont les finances sont plus limitées, comme la France.

En effet, les PIIEC dépendent des financements nationaux et sont principalement accessibles aux pays disposant de marges de manœuvre budgétaires. Plus un État contribue financièrement, plus il a de chances de rapatrier des activités industrielles sur son territoire. C’est ce que l’on observe avec les PIIEC axés sur les batteries, où la France et l’Allemagne, en tant que principaux contributeurs, en tirent parti, souligne Samuel Klebaner, maître de conférences en économie à l’université Sorbonne Paris Nord.

En revanche, le budget de l’Union européenne est actuellement trop limité pour mettre en œuvre des initiatives à l’échelle fédérale, note Thomas Grjebine. Le budget européen est assez restreint et largement alloué à la politique agricole commune (PAC), ce qui rend difficile une augmentation significative des dépenses. Une solution consisterait à recourir à l’endettement communautaire, comme dans le cadre du plan NextGenerationEU, mais cette option suscite une forte opposition de la part des pays du Nord. En attendant, les PIIEC restent le meilleur moyen d’avancer, bien que cela risque d’entraîner une Europe à deux vitesses.

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