Un symbole de l’indépendance en perte de vitesse
ALCANAR, Espagne – À mi-hauteur d’un réverbère d’une rue résidentielle se balance une Estelada défraîchie, le drapeau aux bandes dorées et rouges qui a longtemps symbolisé l’identité catalane dans la région du nord-est de l’Espagne.
Pour Ana Garcia, retraitée locale, les couleurs fanées de l’Estelada ne sont qu’un rappel de l’affaiblissement du mouvement indépendantiste catalan. « C’est comme ça, » dit-elle, imitant un ballon qui se dégonfle.
Il y a quelques années, ce drapeau était omniprésent dans cette petite ville côtière de la Méditerranée, située entre Tarragone et Barcelone, en plein cœur de la Costa Dorada. Les partis séparatistes contrôlaient le conseil municipal tandis que les activistes marchaient au son du flabiol et du tambori catalans, instruments traditionnels de musique, pour réclamer l’indépendance dans le contexte du référendum contesté sur l’indépendance de la Catalogne en 2017, qui a déclenché une crise constitutionnelle et une répression sévère de la part des autorités espagnoles.
Une indépendance de plus en plus lointaine
Peu de traces de ce mouvement subsistent aujourd’hui. Les partis pro-indépendance ont perdu le pouvoir, les drapeaux ont été réduits à quelques lambeaux isolés, et les rêves d’indépendance ne semblent plus qu’un souvenir lointain. « Comment pourrions-nous être autonomes? » s’interroge Joaquim Soler, un résident local et ancien électeur indépendantiste. « Nous avons besoin de faire partie d’une entité plus grande aujourd’hui – de l’Europe et de l’Espagne. »
L’appui à la séparation de l’Espagne a diminué en Catalogne face à l’échec des politiciens pro-indépendance à réaliser leur vision, ainsi qu’à une perception croissante d’un monde de plus en plus hostile aux petites nations. L’étendue de cette déflation de la bulle séparatiste sera mise à l’épreuve la semaine prochaine, lorsque les électeurs à travers l’Espagne voteront lors des élections municipales – un vote qui pourrait également indiquer la direction que prend la Catalogne avant les élections générales de décembre.
Les échecs du passé, un frein pour l’avenir
« Nous avons promis quelque chose, et nous n’avons pas pu tenir notre promesse, » a déclaré Jordi Sanchez, le conseiller aux relations institutionnelles du Conseil de la République Catalane, laissant les Catalans se sentir « en colère et déçus ».
Ce Conseil a été mis en place en 2018 en tant que gouvernement catalan en exil par l’ancien président de la région, Carles Puigdemont, après qu’il a fui l’Espagne pour la Belgique pour éviter d’être arrêté pour son rôle central dans l’organisation du référendum de 2017. Le Conseil continue aujourd’hui en tant que groupe de pression catalan à Bruxelles, plaidant la cause indépendantiste au sein de la capitale de l’Union européenne, tout en attendant un revirement de situation dans son pays d’origine, où Puigdemont risque toujours d’être arrêté s’il devait revenir.
Des politiciens comme Puigdemont se réfèrent à une identité catalane qui remonte au Moyen Âge, lorsque la Couronne d’Aragon – une grande puissance maritime qui comprenait la Principauté de Catalogne – rivalisait avec la puissance des monarques castillans à Madrid. Les tensions avec Madrid se sont aggravées après l’unification de l’Aragon et de la Castille en 1479, culminant avec la défaite de la Catalogne en 1714 lors de la Guerre de Succession d’Espagne, qui a mis fin à son indépendance politique.
La Catalogne: une identité persistante malgré les obstacles
Au cours des 300 années qui ont suivi, la Catalogne a conservé une identité, une culture et une langue distinctes, malgré les nombreuses tentatives de Madrid pour les réprimer. En 1932, la Deuxième République espagnole a rétabli un certain degré d’autonomie régionale en Catalogne, une revendication que ses dirigeants avaient défendue et obtenue à différents degrés depuis la fin du 19ème siècle.
Cependant, avec la défaite de la république lors de la Guerre Civile espagnole, l’identité catalane a été brutalement réprimée sous la dictature du général Francisco Franco. Après sa mort et le retour de la démocratie en Espagne, la Catalogne a obtenu un statut d’autonomie en 1979 et a continué à jouer un rôle influent dans la politique espagnole, détenant différents niveaux de pouvoir à différents moments, en fonction de la composition du parlement espagnol. « Quand le gouvernement espagnol avait besoin du soutien catalan, il cédait aux demandes catalanes, » a déclaré Carlos Serrano, professeur de politique à l’Université Ouverte de Catalogne (UOC) à Barcelone.
Le coup dur du rejet du statut d’autonomie
En 2006, sous le règne d’un gouvernement socialiste à Madrid plus sensible aux droits catalans, un nouveau statut d’autonomie, qui aurait donné à la Catalogne plus de droits culturels et politiques, a été approuvé par les parlements catalan et espagnol ainsi que par un référendum dans la région. Mais la Cour constitutionnelle espagnole a vidé le statut de sa substance en 2010 avant qu’il ne puisse être mis en place, déclenchant une vague de manifestations massives et de revendications pour l’indépendance, ou du moins pour le droit à l’autodétermination.
La popularité de l’indépendance en déclin
Un sondage du Centre d’études d’opinion (CEO), organisme gouvernemental catalan, a montré qu’en 2012, 57,7 % des Catalans soutenaient l’indépendance, un chiffre qui a chuté à 42,1 % en 2023.
La déflation du mouvement indépendantiste est également visible dans les résultats des élections régionales. Bien que les partis pro-indépendance aient réussi à obtenir la majorité des sièges au Parlement catalan lors des élections de 2021, ils ont recueilli moins de 50 % des suffrages exprimés.
L’échec du mouvement indépendantiste à réaliser ses objectifs a coïncidé avec une série de scandales de corruption qui ont éclaboussé ses principaux dirigeants, sapant encore plus leur légitimité. Des tensions internes ont également affaibli la coalition des partis indépendantistes, avec des désaccords sur la stratégie à suivre pour obtenir l’indépendance.
Le désir d’autonomie plutôt que d’indépendance
Alors que le soutien à l’indépendance décline, le désir d’une plus grande autonomie demeure fort. Selon le même sondage du CEO, 68 % des Catalans soutiennent une plus grande autonomie, même s’ils ne veulent pas nécessairement l’indépendance.
Pour Ana Garcia, l’Estelada défraîchie reste une fière déclaration de l’identité catalane. « C’est qui nous sommes, » dit-elle. « Nous voulons simplement plus de respect et de reconnaissance de la part de Madrid. »
Les prochaines élections municipales permettront de déterminer dans quelle mesure l’appui à l’indépendance a diminué et si le désir d’une plus grande autonomie peut se traduire en votes pour les partis modérés favorables à l’autonomie.
L’avenir de la Catalogne et ses relations avec Madrid
Le futur de la Catalogne semble de plus en plus tourner autour de la recherche d’une plus grande autonomie plutôt que de l’indépendance pure et simple. Plusieurs facteurs ont influencé cette tendance, notamment les échecs répétés des tentatives d’indépendance, les tensions internes entre les partis indépendantistes, ainsi que les scandales de corruption qui ont érodé la confiance du public.
Malgré tout, le sentiment d’appartenance catalane reste fort. Les Catalans continuent de célébrer leur histoire, leur culture et leur langue unique. En fait, le mouvement indépendantiste a permis de renforcer l’identité catalane et d’attirer l’attention sur les revendications de la région pour plus d’autonomie et de reconnaissance de sa singularité.
Mais la question de l’indépendance ne peut être ignorée. Les tensions entre Madrid et la Catalogne continuent de marquer la politique espagnole, et l’avenir de la région reste incertain. En fin de compte, il reviendra aux Catalans eux-mêmes de décider de leur avenir, que ce soit dans le cadre de l’Espagne, ou en tant que nation indépendante.
Conclusion
Pour l’heure, l’Estelada continue de flotter dans les rues de Catalogne, mais les couleurs sont moins vives et le vent semble moins fort. Alors que le rêve d’indépendance s’estompe, une question demeure : la Catalogne peut-elle trouver une voie vers une plus grande autonomie qui lui permettra de préserver sa culture unique tout en restant une partie intégrante de l’Espagne? La réponse à cette question déterminera l’avenir de la Catalogne et, dans une certaine mesure, de l’Espagne elle-même.