Diminuer la luminosité du soleil pour refroidir la Terre – est-ce de plus en plus réaliste?

L’évolution de la perception scientifique sur l’ingénierie solaire

Longtemps considéré comme une pure fantaisie de science-fiction, le géoingénierie solaire, ou l’art de manipuler le climat en atténuant la luminosité du soleil, commence sérieusement à être discuté dans les milieux scientifiques face à l’urgence climatique croissante. La question se pose : est-il possible de mettre en place et de réguler une telle intervention à l’avenir?

Ulrike Niemeier, de l’Institut Max Planck pour la météorologie à Hambourg, observe un changement significatif dans l’attitude de la communauté scientifique. Engagée depuis près de quinze ans dans l’étude de l’ingénierie solaire, elle note que l’idée est désormais prise au sérieux et non plus vue comme une utopie. La méthode qui suscite le plus d’intérêt est celle de l’injection d’aérosols stratosphériques (SAI). Cette technique consiste à disperser des particules de soufre dans la stratosphère, à environ 20 kilomètres d’altitude, créant ainsi un voile qui réduit partiellement l’insolation et, par conséquent, abaisse la température terrestre.

Un scénario futuriste mais plausible

Niemeier, en collaboration avec la chercheuse atmosphérique Simone Tilmes, a développé un scénario pour une application future de cette technique. Imaginons 2040, année où, selon les projections du GIEC, le réchauffement global aura dépassé 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle. Face à cette situation, la communauté internationale décide de mettre en œuvre un projet de SAI pour atténuer les impacts du changement climatique en abaissant artificiellement la température.

Des avions spéciaux seraient nécessaires pour disperser les particules de soufre dans la stratosphère. Selon les calculs des scientifiques, plus de 6,700 vols seraient nécessaires chaque jour pendant 160 ans pour stabiliser l’augmentation globale des températures à 2 degrés. Cependant, ce scénario ne serait efficace que si les émissions de CO2 étaient simultanément réduites drastiquement dès 2040.

Le débat sur la réglementation et les risques

Malgré son potentiel, l’ingénierie solaire n’est pas sans controverse. Les critiques soulignent que cette technologie ne résout pas le problème de fond des émissions massives de gaz à effet de serre. De plus, les impacts potentiels sur les précipitations et la couche d’ozone sont préoccupants, sans parler des changements esthétiques, comme le ciel qui pourrait perdre sa teinte bleue habituelle pour devenir laiteux.

Le système climatique étant extrêmement complexe, il existe également de nombreux risques encore mal compris, notamment en termes de biodiversité et d’effets sur les cultures nécessitant un ensoleillement direct. Niemeier elle-même est sceptique quant à l’utilisation pratique de l’ingénierie solaire, bien qu’elle admette la nécessité de continuer les recherches, surtout dans le contexte actuel où les politiques climatiques peinent à être efficaces.

Des scientifiques du monde entier, y compris en Chine, en Inde et en Australie, ainsi que des projets financés par l’Union européenne, continuent d’explorer cette technologie controversée. Par exemple, le projet « Co-Create », d’une durée de trois ans, vise à déterminer les conditions nécessaires pour une recherche responsable en matière d’ingénierie solaire.

Les Etats-Unis ont également publié un plan de recherche quinquennal axé sur les possibilités offertes par l’ingénierie solaire, notamment l’IAA, et le Programme des Nations Unies pour l’environnement a publié un rapport d’expertise en 2023 appelant à davantage de recherches sur ce sujet.

La complexité juridique et politique de la géoingénierie solaire

La géoingénierie solaire n’est actuellement soumise à aucune régulation spécifique au niveau international, ce qui soulève d’importants défis juridiques et politiques. Alexander Proelss, professeur de droit international à l’Université de Hambourg, souligne la difficulté de parvenir à un consensus pour une réglementation globale de l’ingénierie solaire. Selon lui, il serait plus judicieux de modifier les accords internationaux existants pour y inclure des dispositions relatives à la géoingénierie solaire, comme le pourrait être le cas avec l’accord sur la pollution atmosphérique transfrontière ou la convention sur la protection de la couche d’ozone.

Proelss, impliqué dans une équipe de recherche interdisciplinaire, soutient que l’interdiction totale de la recherche serait une erreur. Il préconise une approche prudente et réglementée, surtout que le réchauffement climatique pourrait inciter certains pays à agir unilatéralement en matière de géoingénierie solaire. Il est essentiel de préparer le cadre juridique à de telles éventualités pour encadrer les interventions et en minimiser les risques.

L’émergence d’initiatives privées et les implications commerciales

Par ailleurs, le secteur privé commence à percevoir l’ingénierie solaire non seulement comme une solution potentielle au changement climatique mais aussi comme une opportunité commerciale. Aux États-Unis, par exemple, la startup Make Sunsets propose des ballons météorologiques qui libèrent du dioxyde de soufre dans la stratosphère. Chaque gramme de soufre est censé compenser l’effet d’une tonne de CO2 par an, offrant ainsi des « certificats de refroidissement » aux acheteurs. Ce type d’initiative, bien que limité en échelle, pose des questions importantes sur la nécessité de régulation face à des interventions qui pourraient avoir des effets cumulatifs significatifs.

La recherche continue malgré les controverses

Malgré les critiques et les défis réglementaires, la recherche sur la géoingénierie solaire ne cesse de progresser. David Keith, professeur de sciences géophysiques à l’Université de Chicago, et Frank Keutsch, chimiste allemand, ont supervisé le projet Scopex à l’Université Harvard, visant à tester en conditions réelles l’injection de particules de chaux dans la stratosphère. Bien que le projet ait été annulé suite à la résistance de communautés locales et de groupes environnementaux, Keith reste convaincu de l’importance de poursuivre les recherches dans ce domaine.

Keith et son collègue Wake Smith ont même évoqué la possibilité technique de déployer des interventions de géoingénierie à petite échelle dans un avenir proche, en utilisant des avions capables d’atteindre les basses couches de la stratosphère pour disperser des quantités significatives de soufre. Selon eux, même un petit projet pourrait grandement contribuer à l’avancement de la recherche et à l’acceptation publique de solutions de géoingénierie plus ambitieuses.

Conclusion

L’ingénierie solaire, bien que technologiquement faisable et potentiellement utile pour modérer les effets du changement climatique, soulève de profondes questions éthiques, environnementales et réglementaires. La recherche doit donc se poursuivre avec prudence, transparence et en collaboration internationale, pour évaluer non seulement ses bénéfices potentiels mais aussi ses risques considérables. Face à une crise climatique qui ne cesse de s’aggraver, il est crucial de maintenir toutes les options ouvertes, tout en privilégiant la réduction des émissions de CO2 comme mesure la plus urgente et la plus sûre.

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