Énergie : L’Europe s’engage à relocaliser la production de panneaux solaires

L’État actuel de l’industrie solaire européenne

Au début des années 2000, l’industrie européenne de conception de panneaux photovoltaïques a été largement éclipsée par la concurrence redoutable de la Chine. Les prix en constante baisse et la compétitivité inégalée de la Chine ont étouffé cette industrie naissante sur le Vieux Continent. Cependant, à l’ère de la transition énergétique, l’Europe s’efforce de combler son retard sans toutefois adopter des positions aussi tranchées que d’autres régions du monde.

L’impact de l’abondance de panneaux solaires chinois

La situation actuelle est paradoxale : malgré les aspirations de l’Union européenne à acquérir une « souveraineté énergétique », des millions de panneaux solaires chinois, subventionnés et exportés à des prix défiant toute concurrence, s’entassent depuis des mois dans les entrepôts européens. Selon le cabinet norvégien Rystad Energy, ce stock représente désormais deux fois la taille du marché européen en 2022. Cette abondance de panneaux chinois a mécaniquement fait chuter les prix des modules solaires, bien en dessous de leurs coûts de production, mettant ainsi en péril les quelques entreprises locales qui continuent de produire des panneaux solaires en Europe.

Jan Jacob Boom-Wichers, PDG d’Holosolis, une entreprise française à actionnariat européen, tire la sonnette d’alarme en affirmant que « cette offre excédentaire et bradée menace le peu d’entreprises de construction de panneaux solaires qui existent encore localement, et qui ont beaucoup de mal à vendre leurs produits. »

La compétition chinoise et l’éveil de l’Europe

Cette situation découle d’une tendance qui s’est amorcée dès le début du 21ème siècle, lorsque l’industrie européenne de conception de panneaux solaires s’est inclinée face à la suprématie chinoise sur le marché. Au cours des cinq dernières années, les importations de produits solaires en Europe ont presque quadruplé, passant de 5,5 milliards d’euros en 2018 à plus de 20 milliards d’euros l’année dernière, dont plus de 90% en produits chinois. La Chine a également dominé la production de 96% des galettes de silicium nécessaires aux installations solaires en Europe.

Les nouvelles ambitions de l’Europe

Cependant, l’Europe n’a pas l’intention de rester spectatrice de cette situation. Secouée par les perturbations d’approvisionnement liées à la pandémie de Covid-19 et aux conflits en Ukraine, l’Europe se réveille enfin et cherche à revitaliser son industrie solaire sur son propre sol.

Corentin Sivy, responsable du développement pour l’exploitant de parcs d’énergies renouvelables BayWa.r.e. France, explique : « Le réveil est arrivé par l’industrie automobile. La Chine subventionne abondamment ses usines de batteries et ses voitures, pour inonder l’Europe de véhicules électriques extrêmement peu chers. »

Michel Gioria, directeur général de l’association France Renouvelables, précise : « Cette concurrence déloyale a finalement remis en question le dogme de la concurrence libre et non faussée, qui était la pierre angulaire de la politique industrielle européenne jusqu’à présent. » De plus, l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, un vaste plan de subventions et d’incitations fiscales pour protéger les usines américaines, est venu s’ajouter à cette évolution en 2022.

Le « Net Zero Industry Act » de l’Europe

En réponse à ces défis, la Commission européenne a adopté en mars 2023 un règlement intitulé « Net Zero Industry Act » (NZIA), visant à améliorer l’accès au marché des technologies essentielles à la transition énergétique dans l’UE, « en raison du risque de délocalisation ». Ce règlement concerne les batteries, les éoliennes, l’hydrogène, le nucléaire, les pompes à chaleur, le biogaz, le captage et le stockage du carbone, ainsi que les panneaux solaires. L’objectif déclaré est d’atteindre 40% de contenu local d’ici à 2030, en simplifiant les procédures d’octroi de permis et en priorisant les projets stratégiques.

Les critères de préférence européenne dans les appels d’offres

Le secteur solaire est en pleine expansion en Europe, avec des besoins croissants pour atteindre les objectifs de neutralité carbone. En France, il faudra disposer de 100 à 200 gigawatts (GW) de capacités photovoltaïques d’ici 2050, contre environ 17 GW actuellement, selon RTE. Pour éviter de remplacer une dépendance par une autre, la Commission européenne propose d’intégrer des critères de préférence européenne dans 20% des appels d’offres, avec un objectif de 40% d’ici 2030. Cela signifie que les composants ne pourront pas provenir à plus de 50% de régions en dehors de l’Europe pour être éligibles à certains appels d’offres.

Cependant, certains estiment que cette approche pourrait entraver le développement de parcs photovoltaïques en Europe en limitant l’accès à des produits locaux. Il est crucial de trouver un équilibre pour favoriser le développement tout en garantissant un approvisionnement adéquat en panneaux solaires.

Les défis à relever

Bien que le NZIA représente une avancée significative, certains acteurs de l’industrie estiment qu’il ne va pas assez loin. Ils soulignent la nécessité de mesures plus radicales et d’un soutien financier plus substantiel pour stimuler la relocalisation de la production en Europe. Le crédit d’impôt industrie verte (CI3V) en France, bien que positif, est considéré comme insuffisant par rapport aux besoins.

De plus, les questions concernant les dépenses d’exploitation (OPEX) et la compétitivité des produits européens demeurent cruciales. L’industrie solaire réclame un cadre réglementaire stable et des incitations à long terme pour attirer les investisseurs.

L’avenir de l’Europe dans l’industrie solaire

En fin de compte, l’Europe se trouve à un tournant décisif dans son aventure vers une industrie solaire relocalisée et compétitive. Les efforts visant à augmenter le contenu local dans la production de panneaux solaires sont un pas dans la bonne direction, mais les défis à relever sont nombreux. La transition énergétique de l’Europe repose en partie sur sa capacité à développer une filière solaire robuste et durable.

Après les élections européennes de 2024, la question du financement de la réindustrialisation et de la transition énergétique sera au cœur des débats. L’Europe doit être prête à investir massivement dans son avenir énergétique et à surmonter les obstacles pour devenir un acteur majeur de la troisième révolution industrielle : celle de l’électricité décarbonée.

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