Le projet d’intervention précoce de Bucarest apporte un éclairage inédit
Le développement de l’intelligence humaine a longtemps fasciné les scientifiques. Sa mesure, via le quotient intellectuel (QI), est souvent utilisée pour évaluer le potentiel futur d’un individu. Pourtant, prédire le niveau d’intelligence d’un enfant reste un défi.
Récemment, une vaste étude longitudinale menée à Bucarest suggère un lien entre l’activité cérébrale des nourrissons et leur QI à l’âge adulte. Ces résultats préliminaires, s’ils se confirment, pourraient ouvrir de nouvelles perspectives pour comprendre et favoriser le développement cognitif.
Des enfants roumains suivis pendant 20 ans
Cette recherche s’appuie sur le Projet d’Intervention Précoce de Bucarest (BEIP), lancé en 2000. Son objectif : étudier le développement d’enfants roumains placés en institution après leur naissance.
136 bébés âgés de 6 à 31 mois ont été recrutés dans 6 orphelinats de Bucarest. Certains ont ensuite été placés en famille d’accueil, d’autres sont restés en institution. Un troisième groupe d’enfants non institutionnalisés a aussi été suivi.
Tous ont bénéficié d’un suivi longitudinal avec des tests cognitifs réguliers. Leur QI a notamment été mesuré à l’aide de l’échelle de Wechsler (WISC-IV), à 30 mois, 5 ans, 8 ans, 12 ans et 18 ans.
L’activité cérébrale au repos a également été enregistrée par électroencéphalographie (EEG) à plusieurs reprises pendant l’enfance et l’adolescence.
L’environnement influence le développement cognitif
À 18 ans, les enfants ayant grandi en institution présentaient un QI significativement plus faible que les deux autres groupes.
Ce résultat confirme que l’environnement de croissance, surtout dans les premières années, a un impact profond sur le développement cognitif à long terme.
Plus précisément, l’étude montre que la privation de soins parentaux affecte de nombreux aspects : le comportement, la cognition, la structure cérébrale, le traitement des émotions…
À l’inverse, le placement précoce en famille d’accueil améliore grandement le devenir de ces enfants abandonnés.
L’EEG des nourrissons, marqueur de l’intelligence future ?
L’étude révèle aussi un lien entre l’activité cérébrale précoce et le QI à 18 ans.
Les enfants institutionnalisés présentaient une puissance accrue des ondes lentes (thêta) à l’EEG dans la petite enfance.
Or, cette anomalie prédisait une baisse des performances cognitives à l’âge adulte, indépendamment de l’environnement ultérieur.
Ces résultats suggèrent que l’EEG des nourrissons pourrait être un marqueur précoce du développement intellectuel futur. Des changements dans les oscillations cérébrales reflèteraient l’impact des privations précoces.
L’importance des interventions pendant les “périodes sensibles”
Ces découvertes soulignent l’importance des interventions pendant les périodes cruciales du développement cérébral, ou “périodes sensibles”.
Avant 2 ans, le cerveau semble particulièrement malléable. Les expériences négatives comme la négligence affecteraient durablement ses connexions.
À l’inverse, un environnement stimulant favorise les apprentissages et la cognition. D’où l’intérêt du placement précoce en famille d’accueil.
Ces résultats plaident pour des politiques publiques soutenant la petite enfance. L’accès à l’éducation préscolaire de qualité et au soutien parental ciblé sur les plus défavorisés pourraient promouvoir un développement cognitif optimal.
Des recherches à poursuivre
Bien que prometteuses, ces découvertes demandent à être confirmées. Des études sur des cohortes plus larges sont nécessaires.
Les mécanismes reliant l’activité cérébrale précoce, l’environnement et l’intelligence adulte restent aussi à élucider.
Néanmoins, ce travail ouvre des perspectives fascinantes. La possibilité de dépister précocement des risques de déficit cognitif permettrait d’intervenir au plus tôt, lorsque le cerveau est le plus sensible. Un espoir pour l’avenir de nombreux enfants vulnérables.