La question des milliards russes en Suisse : Faut-il que le Conseil fédéral envoie cet argent en Ukraine ?
Un défi pour accéder aux avoirs russes
L’accès aux avoirs privés russes pour les paiements de réparations à l’Ukraine est difficile. Cependant, la situation n’est pas beaucoup plus simple en ce qui concerne les fonds de la banque centrale. Au Parlement, le groupe du centre-gauche fait pression.
À première vue, l’affaire semble claire. L’État russe est responsable de la guerre dévastatrice en Ukraine à tous égards. Par conséquent, il est légitime de demander des réparations à ses institutions pour les dommages causés, dans la mesure où ils peuvent être évalués financièrement. La première adresse est évidente : la Banque centrale de la Fédération de Russie. Selon les informations fournies par le gouvernement fédéral, elle détient des réserves d’environ 7,4 milliards de francs suisses en Suisse.
Pour l’Ukraine, un tel montant serait une goutte d’eau dans l’océan, mais ce serait mieux que rien. (Notons que cela représenterait également plus que les modestes engagements d’aide de la Suisse jusqu’à présent, qui s’élèvent à 1,8 milliard de francs suisses.) Alors pourquoi ne pas simplement envoyer les milliards russes à Kiev ?
Cette idée est le fil conducteur d’une proposition déposée en cinq exemplaires par un groupe de conseillers nationaux du centre-gauche, afin de souligner un large soutien. Leur objectif est de créer un mécanisme internationalement ancré pour les paiements de réparations “aux dépens des actifs de l’agresseur belliqueux”, qui serait applicable en cas d’agression illégale comme en Ukraine.
Les auteurs de ces propositions ne pensent pas seulement aux milliards des institutions étatiques telles que la banque centrale, mais explicitement aussi aux “fonds étatiques” proches de l’État, par exemple des entreprises d’État. Environ 60 membres du Conseil national des partis du centre, du Parti socialiste, des Verts et du Parti libéral-radical (PLR), ainsi que des membres isolés du Parti libéral, soutiennent cette demande. Cela pourrait suffire pour obtenir une majorité. Le Conseil national se prononcera lors de la session d’été qui débute mardi.
L’immunité pour les banques centrales
Une chose est claire à la lecture des propositions : ni une action unilatérale de la Suisse ni une aventure juridique ne sont souhaitées. Au contraire, le Conseil fédéral serait chargé d’agir au niveau international et de plaider en faveur d’une approche commune des États occidentaux, soutenue non seulement politiquement mais aussi juridiquement. Les conseillers nationaux impliqués ne cachent pas que cela soulève des questions complexes.
Selon le droit international, les avoirs des banques centrales bénéficient d’une quasi-immunité et relèvent de la protection diplomatique. Les éventuelles conséquences économ
iques sont également un facteur à prendre en compte, notamment si la banque centrale d’un grand pays perdait une part importante de ses réserves.
Cependant, un État qui cause un préjudice illégal à un autre est tenu de verser des dommages et intérêts. Il n’est pas clair, en revanche, si et comment d’autres pays, qui ne sont pas directement impliqués dans le conflit, peuvent intervenir dans un tel cas. Par exemple, les États membres de l’Union européenne discutent de cette possibilité : ils pourraient investir les actifs bloqués de la Banque centrale russe et utiliser les revenus qui en découlent pour la reconstruction de l’Ukraine. La Suisse suit ces discussions de près, comme l’a récemment annoncé le département de l’économie. Ce qui en ressort reste incertain.
Combien de milliards sont réellement en jeu ?
La difficulté que rencontre l’Occident dans le traitement des avoirs russes se manifeste déjà par le fait que l’on ne sait même pas où se trouvent exactement les réserves de la banque centrale. On cite souvent la même estimation, basée sur les informations de la banque de l’année dernière : selon elles, environ 300 milliards de dollars seraient bloqués dans les pays qui ont rejoint les sanctions financières.
Cependant, strictement parlant, ces fonds ne sont même pas considérés comme “bloqués”. Cette catégorie ne concerne que les fonds et les actifs des particuliers, des entreprises ou des organisations soumis à des sanctions en raison de la guerre en Russie. Jusqu’à présent, la Suisse a bloqué environ 7,5 milliards de francs suisses. Juridiquement, il est encore plus difficile, voire impossible, de saisir ces fonds privés et de les utiliser comme indemnisation pour l’Ukraine.
Avant de prendre une telle mesure, la responsabilité du propriétaire respectif devrait être correctement examinée, ce qui n’est pas possible sans des procédures longues et probablement difficiles, y compris des possibilités de recours. Sans une décision finale, le droit fondamental de garantie de propriété prévaut. En février, le Conseil fédéral a souligné que l’ordre juridique de la Suisse et de nombreux autres pays n’autorise pas la confiscation de biens privés.
Des milliards comme moyen de pression
Dans le cas des fonds publics, l’accès devrait être plus facile. Cependant, il reste incertain de savoir si cela sera réussi. À l’heure actuelle, les réserves russes ne sont pas formellement bloquées, mais seulement “impossibles à déplacer”. Selon le Secrétariat d’État à l’économie, depuis mars 2022, toutes les “transactions liées à la gestion des réserves et des actifs” de la banque centrale sont interdites. Autrement dit, l’argent reste dans le pays.
Il est également possible que les pays occidentaux conviennent de ne pas transférer les réserves de la banque centrale à l’Ukraine, mais de les utiliser comme moyen de pression : les milliards ne seraient libérés qu’après la fin de la guerre si la Russie s’engage à verser des réparations adéquates.