Les élections turques de 2023 : Un tournant décisif sous tension

Entre injures et menaces : un climat électoral tendu

Dans le contexte pré-électoral du 14 mai, Kemal Kiliçdaroglu, le candidat de l’opposition, a été la cible de nombreuses attaques et insultes de la part du président sortant, Recep Tayyip Erdogan, et de son gouvernement. Des accusations graves, allant de la débauche à l’incrédulité, ont été portées contre lui, créant un environnement politiquement chargé et agressif. L’accusation d’orchestration d’un coup d’État par l’Occident a même été émise par le ministre de l’Intérieur, Süleyman Soylu. C’est dans ce contexte tumultueux que les citoyens turcs s’apprêtent à se rendre aux urnes.

Depuis une dizaine d’années, l’éloquence poétique du président Erdogan a progressivement cédé la place à une rhétorique autoritaire et parfois vulgaire. L’intensité actuelle de ces attaques révèle peut-être la gravité de l’enjeu électoral pour le président sortant.

Un scrutin historique pour la République turque

Cette élection, combinant les enjeux présidentiels et législatifs, revêt une importance capitale pour la Turquie, qui célèbre cette année le centenaire de sa République. Selon Binali Yildirim, ancien Premier ministre et allié d’Erdogan, « cette élection ne ressemble à aucune élection passée ».

La victoire de l’opposition ne garantit pas nécessairement un changement de cap pour le pays. En effet, personne ne sait comment Erdogan réagirait face à une défaite, surtout si les résultats sont serrés.

Une popularité en déclin pour Erdogan

L’image d’Erdogan a considérablement souffert ces derniers mois, y compris parmi ses propres partisans. Une nouvelle génération d’électeurs, qui n’ont connu qu’un règne d’Erdogan, semble prête à soutenir le changement. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2003, Erdogan fait face à une élection très incertaine. Jamais auparavant, lui et son Parti de la justice et du développement (AKP) n’ont eu autant à craindre de perdre leur pouvoir.

Des crises économiques et des libertés bafouées

L’usure du temps, une fatigue institutionnelle et une érosion continue des droits et libertés sont parmi les facteurs qui ont contribué à cette situation précaire. La situation économique désastreuse, l’inflation galopante, l’incompétence de la gestion de catastrophes comme le récent tremblement de terre, ont tous contribué à la baisse de popularité d’Erdogan.

Un duel serré et incertain

Malgré l’incertitude inhérente aux sondages, la plupart d’entre eux montrent une course serrée entre les deux candidats, avec souvent un avantage pour Kemal Kiliçdaroglu. Cette même tension se reflète au Parlement, où la coalition de l’AKP avec le Parti d’Action Nationaliste, mené par Devlet Bahçeli, pourrait voir sa majorité remise en question. La récente alliance électorale avec Hüda Par, le parti islamiste kurde (qui n’a obtenu que 0,3% des voix lors des élections législatives de 2018), ne semble pas suffisante pour rassurer. Les membres radicaux de ce parti sont connus pour leurs actions violentes et ont parfois agi comme des supplétifs pour la police. Cela alimente les craintes d’une possible escalade de la violence en cas de résultats décevants.

Une première pour Recep Tayyip Erdogan

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2003, Erdogan fait face à la plus grande incertitude électorale de sa carrière politique. Jamais le leader d’Ankara et son Parti de la Justice et du Développement (AKP) n’ont eu à craindre autant la perte de leur pouvoir.

Un certain nombre de facteurs expliquent cette situation. Tout d’abord, l’usure du pouvoir et la fatigue institutionnelle ont laissé des marques. Il y a aussi la dégradation continue des droits et des libertés. Encore en avril dernier, la police a arrêté des dizaines de journalistes, avocats, artistes et militants kurdes, dont certains étaient observateurs électoraux. De plus, la crise économique persistante (la livre turque a perdu 450% de sa valeur au cours des cinq dernières années), l’inflation galopante et l’incapacité à fournir une aide d’urgence après le tremblement de terre du 6 février (plus de 50 000 morts et 3 millions de personnes déplacées) ont contribué à maintenir la popularité d’Erdogan à un niveau historiquement bas.

Des attaques agressives et une position difficile

En plus des déclarations complotistes du ministre Soylu, un conseiller du président a déclaré à la télévision qu’un changement de gouvernement équivaudrait à « un coup d’État contre l’indépendance de la Turquie ». Le ministre de la technologie, Mustafa Varank, a affirmé, sans preuve, que le candidat Kiliçdaroglu avait rencontré aux États-Unis des dirigeants de la communauté islamiste Gülen, tenus responsables par le gouvernement du coup d’État militaire manqué du 15 juillet 2016.

Ce genre de rhétorique peut trouver un écho auprès de certains secteurs de la société turque, marqués par les coups d’État et les attentats terroristes des dernières décennies, et qui craignent une ingérence étrangère. Cette stratégie, basée sur l’idée du « moi ou le chaos » et sur un fond de guerre culturelle avec l’opposition, a fonctionné par le passé.

Un appel à un changement de cap

Cependant, cette tactique n’est plus aussi efficace en raison de la diversité du bloc d’opposition. Celui-ci s’est transformé et est désormais composé de forces variées qui vont de la gauche laïque au nationalisme kurde, en passant par l’islamisme modéré. Cette coalition hétérogène, menée par Kiliçdaroglu, s’oppose à l’autoritarisme d’Erdogan et appelle à un changement de cap.

En plus de cela, Kiliçdaroglu a réussi à rassembler une série de propositions concrètes pour redresser l’économie, renforcer la démocratie et rétablir la paix sociale. Il prône une économie de marché, le retour de l’indépendance de la justice, le renforcement de la liberté de la presse et des droits des minorités, notamment ceux des Kurdes.

Par ailleurs, Kiliçdaroglu a promis une révision de la constitution afin de renforcer les pouvoirs du parlement et limiter ceux du président, en abolissant le système présidentiel instauré par Erdogan en 2017. Ce système, qui donne tous les pouvoirs exécutifs au chef de l’État, a été largement critiqué pour son absence de contre-pouvoirs et son manque de respect pour les droits de l’homme.

Conclusion

Les électeurs turcs sont donc confrontés à un choix crucial pour l’avenir de leur pays. D’un côté, un président sortant affaibli par une série de crises économiques, sociales et politiques, mais qui reste déterminé à conserver le pouvoir. De l’autre, un candidat de l’opposition qui promet un changement de cap et une réforme en profondeur des institutions. Quel que soit le résultat, ces élections sont sans aucun doute un moment décisif pour la Turquie.

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