Difficile d’imaginer le fonctionnement habituel d’un aéroport dans un pays en proie à une guerre qui dure depuis un an et demi. Pourtant, malgré les défis écrasants auxquels sont confrontés les aéroports ukrainiens, le gouvernement de Kiev et plusieurs institutions européennes ont répondu à l’appel lancé par l’Association des Aéroports Européens (ACI Europe). Leur mission : anticiper les besoins cruciaux de préservation de ces infrastructures stratégiques en prévision de l’après-guerre.
L’état préoccupant des aéroports ukrainiens
Un an et demi après le début de l’invasion russe, les aéroports ukrainiens sont dans un état préoccupant. Ils ont été durement touchés par la suspension de tout trafic commercial dans le pays, et certains ont subi d’importants dommages matériels. Cependant, malgré leur importance stratégique, le gouvernement ukrainien exerce une pression considérable sur ces aéroports en leur demandant de maintenir leur opérabilité sans pour autant leur fournir les moyens nécessaires pour y parvenir.
Cette situation alarmante est exposée par l’ACI Europe, le principal syndicat professionnel des aéroports en Europe. Cela a conduit à une réunion cruciale à Bruxelles la semaine dernière, où des représentants du gouvernement ukrainien et des institutions européennes se sont réunis pour trouver des solutions financières et préparer la reprise du trafic aérien commercial après le conflit.
Une Table Ronde d’Ukrainiens et d’Européens
Olivier Jankovec, directeur général de l’ACI Europe, explique : « Cette réunion visait à alerter à la fois le gouvernement ukrainien et les instances européennes ». Outre les représentants des aéroports, la table ronde comprenait des représentants du ministère des infrastructures et des finances ukrainiens, de l’autorité de l’aviation civile, du contrôle aérien (UkSTATSE) du côté ukrainien, ainsi que la Commission européenne, l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), Eurocontrol, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) du côté européen.
Des Fonds Cruciaux pour la Survie
Toutefois, la survie des aéroports ukrainiens nécessite des fonds considérables, évalués à 53 millions d’euros par an selon l’ACI Europe, simplement pour les maintenir en état de fonctionnement. Jusqu’à présent, les aéroports ukrainiens ont puisé dans leurs réserves de trésorerie et leurs lignes de crédit pour faire face à ces besoins financiers, mais ces ressources sont désormais épuisées. De plus, la guerre a tari les sources de revenus, contrairement au secteur ferroviaire qui continue de fonctionner. De plus, il faudra mobiliser des ressources considérables, estimées à plus de 200 millions d’euros, pour la reconstruction des aéroports endommagés.
Priorité à la Défense et à l’Aide Humanitaire
« Lorsque vous parlez au ministre ou au vice-ministre des Finances ukrainiens, ils vous disent comprendre les problèmes de nos aéroports, mais qu’ils ont besoin d’établir des priorités et que ces priorités sont l’armée, l’assistance aux populations dans les zones de conflit et tout ce qui va avec. Et c’est tout à fait compréhensible », admet volontiers le patron d’ACI Europe. Cependant, il souligne l’importance de sensibiliser à cette situation et de prendre des mesures à la fois à court et à long terme.
Pas de Solution Miracle à Court Terme
À court terme, il n’existe apparemment pas de solution miracle. Bien qu’un fonds de solidarité ait été lancé l’année dernière par Eurocontrol et financé par ses États membres à hauteur de 46,5 millions d’euros, pour soutenir le financement des opérations et de la maintenance du contrôle aérien ukrainien et moldave en 2022 et 2023, il n’existe pas d’équivalent pour le secteur aéroportuaire, déplore Olivier Jankovec. Il souhaitait donc explorer la possibilité d’inclure les aéroports dans ce dispositif lors des négociations pour son renouvellement l’année prochaine. Cependant, bien que le renouvellement de ce fonds soit prévu, son extension aux aéroports semble incertaine, car elle nécessite l’unanimité des États membres d’Eurocontrol, une condition qui avait déjà failli empêcher sa création. L’appel au gouvernement ukrainien pour un soutien financier immédiat a également été renouvelé.
Des Perspectives à Long Terme Éclaircies
En ce qui concerne le long terme, notamment le financement de la reconstruction des aéroports endommagés et le développement futur de ces infrastructures, la situation est plus claire. Notamment en ce qui concerne l’attribution de fonds alloués par l’Union européenne dans le cadre de la facilité de 50 milliards d’euros (prêts et subventions) accordée à l’Ukraine pour la période 2024-2027. La Commission européenne a affirmé deux principes fondamentaux, à savoir la définition préalable des priorités par les autorités ukrainiennes et le principe de « Reconstruire en Mieux », c’est-à-dire moderniser et favoriser le développement durable.
L’Aviation au Cœur de la Reconstruction
La Commission européenne est convaincue que l’aviation jouera un rôle crucial dans la reconstruction de l’Ukraine. Les infrastructures aéroportuaires ukrainiennes devront être intégrées dans le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) dans le cadre de la candidature du pays à l’Union européenne. Olivier Jankovec souligne l’importance d’obtenir la priorité pour les aéroports ukrainiens dans l’allocation de ce soutien financier, tout en reconnaissant que tous les secteurs économiques revendiquent également cette priorité.
Implication des Banques Européennes
La Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) pourraient jouer un rôle clé dans la préparation du futur des aéroports ukrainiens. Ces deux banques européennes étaient déjà actives en Ukraine avant le conflit, contribuant au financement du développement de l’aviation civile ukrainienne.
Appel à la Solidarité des Compagnies Aériennes
L’ACI Europe fait également appel à la solidarité de ses membres. Des compagnies aériennes telles qu’Air Baltic, Ryanair et Wizz Air ont déjà exprimé leur volonté de rétablir les liaisons entre l’Ukraine et le reste de l’Europe dès que cela sera possible en toute sécurité. Olivier Jankovec demande donc aux aéroports européens d’envisager des incitations telles que des réductions sur les frais d’utilisation pour les vols desservant l’Ukraine, afin de soutenir la reprise d’une connectivité aérienne essentielle. Cela nécessitera, bien sûr, la souplesse et le soutien des régulateurs nationaux, le cas échéant.
Un Engagement Passé avec des Défis
Cette solidarité avait déjà été sollicitée pour la fourniture d’équipements aux aéroports ukrainiens et pour l’embauche de personnel ukrainien ayant fui les combats. Cependant, malgré une volonté de coopération, la réalisation de ces initiatives s’est heurtée à des barrières administratives, telles que la certification du personnel et l’obtention des autorisations de sécurité.
Olivier Jankovec exprime sa conviction en ce qui concerne le potentiel de développement de l’Ukraine. Le pays avait enregistré l’un des taux de reprise les plus élevés en Europe après la pandémie de Covid-19, en raison d’une forte demande de mobilité et d’une augmentation de la propension des Ukrainiens à voyager en avion, bien que ces chiffres aient été modestes avec seulement 25 millions de passagers en 2019. Avec la formation d’une diaspora de huit millions d’Ukrainiens due au conflit et la nécessité de reconstruire le pays, on peut s’attendre à une dynamisation du trafic aérien une fois le conflit terminé.