L’Arabie saoudite et la Russie : Épreuve de force pour le contrôle des cours du pétrole

La popularité grandissante de Mohammed Ben Salman

Mohammed Ben Salman, le prince héritier et premier ministre d’Arabie saoudite, assume le rôle de dirigeant de facto en raison de la santé déclinante de son père, le roi Salman. Sa popularité, bien qu’impossible à évaluer en Arabie saoudite en l’absence d’enquête indépendante, est à son apogée dans le reste du monde arabe, où la presse n’hésite pas à le comparer à un « nouveau Nasser ».

Selon un éditorialiste américain, cette faveur s’explique par l’incident de juillet 2022 lorsque Mohammed Ben Salman a fait un geste de défi envers Joe Biden. Le président américain s’était rendu à Djeddah pour obtenir une augmentation significative de la production saoudienne de pétrole afin de faire baisser les prix de l’essence aux États-Unis avant les élections de mi-mandat. Cette demande avait été catégoriquement rejetée par Mohammed Ben Salman, une fermeté qui a contribué à renforcer son aura dans la région.

Objectif : 80 dollars le baril

L’Arabie saoudite est non seulement l’économie la plus puissante du monde arabe, mais elle compte également une population de 32,2 millions d’habitants, dont 18,8 millions de Saoudiens, dont les deux tiers ont moins de 30 ans. En revanche, les nationaux des autres monarchies pétrolières sont largement minoritaires sur leur propre territoire (par exemple, 10 % aux Émirats arabes unis).

Mohammed Ben Salman a basé sa « Vision 2030 » sur cette dynamique démographique, un vaste programme de modernisation mené à marche forcée, comprenant des projets futuristes et controversés. Cependant, pour réaliser cette ambition, le dirigeant saoudien a un besoin impératif de maintenir le prix du baril de pétrole à au moins 80 dollars. C’est pourquoi il a infligé un camouflet à Biden en juillet 2022.

Le prince saoudien a confié ce dossier stratégique à son demi-frère, Abdelaziz Ben Salman, ministre du pétrole. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), fondée en 1960, a été élargie en 2016 pour inclure dix nouveaux membres, dont la Russie, devenant ainsi l’OPEP+. Depuis lors, un partenariat privilégié entre Riyad et Moscou permet de réguler les cours du pétrole.

L’objectif d’un baril à 80 dollars semblait atteignable en avril. Cependant, cela n’avait pas pris en compte l’enlisement de la Russie en Ukraine. Pour financer sa campagne d’agression, la Russie a écoulé des quantités de pétrole de plus en plus importantes via des pays tiers. Les importations de pétrole russe en provenance de l’Inde sont ainsi passées de 1 % à 40 %, avec des transactions sensiblement inférieures à 60 dollars le baril, le plafond fixé en décembre 2022 par le G7 pour échapper aux sanctions occidentales.

Zelensky à Djeddah : un coup de théâtre

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’invitation surprise du président ukrainien au sommet arabe de Djeddah le 19 mai. Jamais Vladimir Poutine, bien qu’ayant des relations étroites avec la plupart des autocrates arabes, n’avait bénéficié d’un tel honneur. Mohammed Ben Salman a d’ailleurs imposé le discours en plénière de Volodymyr Zelensky à ses pairs arabes, bien que la sympathie pour Kiev ne soit pas spontanée.

Ce bras de fer public entre Riyad et Moscou s’est poursuivi lors de la réunion de l’OPEP+ à Vienne le 4 juin. L’Arabie saoudite y a annoncé une réduction d’un million de barils par jour de sa production de pétrole, la faisant passer de 10 à 9 millions de barils. Cette annonce a relancé à la hausse les cours du baril, qui se rapprochent de la barre symbolique des 80 dollars.

Cependant, le pari saoudien ne pourra être tenu que si la Russie respecte son engagement renouvelé à Vienne de réduire sa production quotidienne de pétrole d’un demi-million de barils, la faisant passer de 9,8 à 9,3 millions.

Défiance et risque

Moscou avait déjà promis cette réduction dès février dernier, sans jamais tenir parole. Cette fois, l’engagement a été pris jusqu’en 2024 et sera surveillé de près par l’Arabie saoudite, sur la base d’une enquête interne de l’OPEP+.

La défiance est désormais de mise entre Vladimir Poutine et Mohammed Ben Salman, dont les priorités respectives, la guerre en Ukraine pour l’un et la Vision 2030 pour l’autre, apparaissent de moins en moins conciliables. En accueillant le président Zelensky à Djeddah, le dirigeant saoudien est déjà devenu la première figure du Sud global à ne pas traiter agresseur et agressé sur un pied d’égalité dans la crise ukrainienne. Une escalade du bras de fer pétrolier avec Moscou pourrait l’amener à adopter une position encore plus tranchée.

Quant au maître du Kremlin, il n’a plus le choix : il doit décider entre se priver de ressources cruciales ou se mettre à dos un partenaire de choix. Dans les deux cas, il risque de perdre énormément.

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