En avril 2022, l’entreprise d’ingénierie française, Technip Energies, s’est retrouvée dans une situation délicate en raison de l’invasion russe en Ukraine. Elle était engagée dans la construction de l’usine Arctic LNG 2 en Russie, un projet colossal de liquéfaction de gaz naturel en Sibérie occidentale. Les sanctions européennes liées à l’invasion rendaient incertaine la continuation du projet, mettant Technip Energies face à un dilemme financier majeur.
Un projet controversé dès sa genèse
Arctic LNG 2 était un projet stratégique pour la Russie, visant à augmenter de 60 % les capacités d’exportation de gaz naturel liquéfié du pays d’ici 2026. Cependant, ce projet était controversé sur le plan environnemental, car il contribuait à la production croissante de gaz, en contradiction avec les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique.
La complexité du projet résidait également dans son emplacement, en Arctique, où les températures peuvent atteindre -50 °C. Les modules de l’usine, pesant des milliers de tonnes, étaient fabriqués en Chine avant d’être acheminés à Mourmansk, en Russie, pour être assemblés par Technip Energies. Ce défi d’ingénierie était immense.
Les risques géopolitiques
Lors de la signature du contrat en juillet 2019, le contexte géopolitique était déjà explosif. Arctic LNG 2 était porté par Novatek, une entreprise russe qui avait été ciblée par les sanctions américaines après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Technip Energies avait refusé de demander une assurance-crédit pour le projet, évitant ainsi de sembler soutenir financièrement Novatek, ce qui aurait été contraire aux mesures américaines.
S’engager en Russie était risqué pour les entreprises occidentales, mais Technip Energies avait accepté de se plier aux exigences russes, notamment en cédant 1 % des parts de sa filiale Gydan LNG à Nipigas, une entreprise d’ingénierie russe liée à Novatek.
L’invasion russe en Ukraine
L’invasion russe de l’Ukraine à partir de février 2022 a tout bouleversé. Comme de nombreuses entreprises occidentales, Technip Energies a annoncé qu’elle renonçait à de nouvelles opportunités commerciales en Russie, mais elle ne pouvait pas simplement abandonner le chantier d’Arctic LNG 2, qui représentait encore un chiffre d’affaires important pour l’année en cours.
D’autres partenaires européens du projet ont été plus prudents et ont rompu leurs contrats, mais Technip Energies était dans une position plus complexe. Le 8 avril 2022, de nouvelles sanctions européennes ont été imposées, interdisant les exportations vers la Russie de produits et de technologies utilisés dans la liquéfaction de gaz naturel, ainsi que toute assistance technique, financière ou logistique. Technip Energies avait un peu plus d’un mois pour s’y conformer.
La stratégie de Technip Energies
Technip Energies a rapidement pris conscience de l’ampleur des sanctions et de la nécessité de se conformer à celles-ci. Cependant, la contribution de l’entreprise était indispensable au projet, car les usines de liquéfaction GNL nécessitaient une ingénierie sur mesure. Plutôt que de quitter brusquement le projet, l’entreprise a coopéré avec Novatek pour étaler sa sortie.
Cette stratégie a permis à Technip Energies de continuer à fournir des éléments nécessaires au projet depuis la Chine et la Russie, contribuant ainsi à la poursuite du chantier. La sortie progressive a également permis à Novatek de préparer le remplacement de l’entreprise française pour les dernières étapes du projet.
Les livraisons cruciales
En juillet 2022, après l’entrée en vigueur des sanctions, Technip Energies a annoncé avoir suspendu la majorité des travaux sur Arctic LNG 2. Cependant, des livraisons importantes ont eu lieu, notamment l’acheminement de modules essentiels du deuxième train de liquéfaction. Bien que l’entreprise ait affirmé que ces pièces n’étaient pas stratégiques et ne violaient pas les sanctions, des analyses suggèrent le contraire.
Les risques juridiques
Le choix de Technip Energies de continuer à fournir des éléments au projet malgré les sanctions n’était pas sans risque juridique. Les sanctions imposaient de renoncer à certains contrats, exposant ainsi le prestataire à des poursuites et à des pénalités financières potentielles. L’entreprise a même fait appel à un cabinet de lobbying pour plaider sa cause auprès des ministères de l’environnement et de l’économie.
La sortie stratégique
Technip Energies a réussi à limiter ses pertes financières en se retirant du projet de manière stratégique. Bien qu’elle ait renoncé à environ 2 milliards d’euros en quittant Arctic LNG 2, elle a sécurisé le paiement de 5 milliards d’euros pour le travail déjà effectué en trois ans. De plus, la société a transféré le siège social de ses filiales dédiées au projet aux Émirats arabes unis, échappant ainsi aux sanctions européennes.
En mai 2023, Technip Energies a cédé ses parts dans les joint-ventures du projet à une société émiratie, Vertex Engineering, contribuant ainsi à la continuité du chantier.
Conclusion
La gestion de Technip Energies face à l’invasion russe en Ukraine et aux sanctions internationales a été complexe et stratégique. L’entreprise a réussi à limiter ses pertes financières tout en contribuant à la poursuite du projet Arctic LNG 2. Cela soulève des questions sur l’efficacité des sanctions et la nécessité d’une meilleure coordination internationale dans de telles situations.