La Banque centrale européenne (BCE) a récemment franchi une étape cruciale dans son ambitieux projet d’euro numérique. Cette initiative vise à moderniser le système financier européen en introduisant une nouvelle forme de monnaie électronique. Bien que la date de son lancement effectif soit prévue pour 2027-2028, la BCE s’engage dans une phase préparatoire importante qui s’étendra de novembre 2023 à 2030. Cette période comprendra à la fois la poursuite des travaux en cours et les débats législatifs autour du projet. Mais pourquoi l’euro numérique suscite-t-il tant d’enthousiasme et de préoccupations ?
L’Objectif de l’Euro Numérique : Une Réponse à la Disparition du Cash
L’euro numérique a pour ambition de contrer la tendance à la disparition progressive de la monnaie physique. Dans un monde de plus en plus numérisé, où les paiements en espèces sont en constante diminution, il devient impératif de proposer une alternative. Cependant, ce projet soulève des questions complexes, notamment en matière de confidentialité, de protection des données et de stabilité du système bancaire.
L’une des principales raisons qui motivent la BCE à avancer dans la création de l’euro numérique est la nécessité de maintenir un équilibre entre les formes de paiement traditionnelles et les innovations numériques. Les paiements en espèces ont longtemps été le pilier du système financier, offrant aux citoyens une option de paiement anonyme et directe. Cependant, avec l’avènement des technologies numériques, les transactions en espèces ont considérablement diminué, passant de 80 % des transactions en magasin en 2016 à seulement 60 % en 2022.
Face à cette évolution rapide, l’euro numérique se positionne comme un « billet de banque numérique » destiné à pallier la disparition progressive du cash. Il vise à offrir aux consommateurs une alternative numérique qui combine les avantages du cash, tels que l’anonymat et la simplicité, avec la flexibilité offerte par les transactions électroniques.
Face aux Acteurs Internationaux et aux Big Techs
Un autre enjeu majeur de l’euro numérique est la préservation de la souveraineté européenne en matière monétaire. Avec la montée en puissance d’acteurs internationaux tels que Visa, Mastercard, et surtout les grandes entreprises technologiques (Big Techs) qui envisagent de créer leurs propres monnaies, l’Europe se doit de réagir. L’échec du projet de cryptomonnaie de Facebook, baptisée Libra à l’époque et maintenant appelée Diem, et l’annonce de PayPal concernant son stablecoin ont clairement montré les risques potentiels.
L’euro numérique représente un moyen pour l’Europe de rester compétitive dans un environnement monétaire en pleine mutation. Alors que des acteurs non européens cherchent à pénétrer le marché des paiements numériques, la BCE veut s’assurer que l’euro numérique reste sous son contrôle, garantissant ainsi la stabilité financière de la zone euro.
La Monnaie Banque Centrale vs. la Monnaie Commerciale
Pour comprendre l’importance de l’euro numérique, il est essentiel de saisir la distinction entre la monnaie banque centrale et la monnaie commerciale. Le système monétaire moderne repose sur un modèle à deux niveaux. Les banques centrales sont responsables de l’émission et de la garantie de la monnaie banque centrale, tandis que les banques commerciales émettent la monnaie commerciale en fonction des dépôts qu’elles détiennent auprès de la banque centrale.
L’euro numérique viendra s’insérer dans ce système à deux niveaux, coexistant avec la monnaie fiduciaire (billets et pièces) en tant que forme de monnaie numérique, tout en étant complémentaire aux dépôts bancaires traditionnels. Cette approche a permis de garantir la stabilité financière depuis plus de deux siècles.
L’introduction de l’euro numérique marquera une étape importante dans l’histoire monétaire européenne, en créant une forme de monnaie qui est émise directement par la BCE, sans l’intermédiaire des banques commerciales. Cela représente un changement significatif dans la manière dont la monnaie est émise et gérée.
Les Caractéristiques de l’Euro Numérique
L’euro numérique devra présenter des caractéristiques similaires à celles de la monnaie physique pour gagner la confiance des utilisateurs. Il sera reconnu comme un moyen de paiement légal et ne pourra être refusé, sauf dans les limites réglementaires. L’une de ses caractéristiques uniques sera la possibilité d’effectuer des paiements hors ligne, sans connexion à un réseau bancaire, ce qui constituera une avancée technologique majeure.
De plus, l’euro numérique sera gratuit pour les particuliers, à l’exception des éventuelles commissions liées aux retraits en espèces. La BCE se soucie également de l’inclusion financière, veillant à ce que cette nouvelle forme de paiement ne crée pas de barrières pour les citoyens. Enfin, l’euro numérique s’intégrera dans l’écosystème des paiements existants, aux côtés des cartes de paiement et des solutions de portefeuille numérique.
Calendrier de l’Euro Numérique
Après deux ans de travaux (d’octobre 2021 à octobre 2023) visant à étudier la faisabilité technique de l’euro numérique, ainsi que des questions sensibles liées à la confidentialité des données, la BCE entame une nouvelle phase de préparation. Cette période de deux ans coïncidera avec les discussions législatives entourant le texte européen adopté par la Commission européenne en juin dernier, qui donnera une base légale à l’euro numérique.
D’ici la fin de 2025 ou le début de 2026, la BCE pourra décider de lancer ou non l’euro numérique. Les premiers tests pilotes pourraient être lancés vers 2027, notamment pour des cas d’usage tels que les
transferts de personne à personne (P2P). L’adoption généralisée de l’euro numérique est attendue d’ici 2030. Cette phase sera cruciale pour convaincre les décideurs politiques, les commerçants et l’opinion publique du bien-fondé du projet.
L’Intérêt des Politiques pour l’Euro Numérique
Actuellement, l’euro numérique suscite principalement l’intérêt des banquiers centraux et des hauts fonctionnaires. En France, le débat parlementaire n’a pas encore été lancé, ce qui est compréhensible étant donné que le texte européen n’a été publié qu’en juin dernier. Cependant, certains groupes parlementaires européens, comme Renew Europe, se montrent plus engagés dans cette initiative. La question de la confidentialité des données occupera une place centrale dans les débats, avec la nécessité de garantir que l’euro numérique ne devienne pas un instrument de surveillance de la sphère privée.
Les Réserves des Banques Vis-à-vis de l’Euro Numérique
Les banques françaises ont exprimé leur opposition au projet d’euro numérique. Elles estiment déjà répondre efficacement aux besoins des consommateurs en matière de moyens de paiement et craignent que l’euro numérique ne détourne une partie de leurs dépôts vers la banque centrale. Toutefois, la BCE a précisé qu’elle ne prévoyait pas d’ouvrir des comptes pour les particuliers ou les entreprises. De plus, des limites de détention seront mises en place pour l’euro numérique, bien que leur montant exact ne soit pas encore défini.
En fin de compte, l’euro numérique est conçu comme un complément au cash plutôt qu’une menace pour les banques. Certaines banques européennes, notamment celles qui disposent de moins d’infrastructures de paiement développées, semblent plus favorables au projet. En fin de compte, la BCE souhaite collaborer avec les acteurs du secteur financier pour garantir le succès de l’euro numérique, tout en continuant à promouvoir d’autres initiatives telles que le projet paneuropéen de paiement EPI.
L’euro numérique représente une révolution majeure dans le paysage financier européen. Il est essentiel de comprendre ses implications, ses avantages et ses défis pour anticiper son impact sur l’économie et la vie quotidienne des citoyens de la zone euro.