L’année 2022 a été marquée par une avancée révolutionnaire dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). Une start-up australienne, Cortical Labs, issue de l’Université de Melbourne, a réussi à enseigner à une couche de neurones humains cultivés en laboratoire comment jouer au jeu vidéo Pong en seulement cinq minutes. Cette percée a ouvert la voie à une discipline émergente appelée l’intelligence organoïde (IO), formellement définie en 2023 par une équipe internationale de chercheurs de l’Université Johns-Hopkins aux États-Unis. L’IO promet de révolutionner l’IA en remplaçant les processeurs traditionnels par des bio-processeurs composés d’organoïdes cérébraux, issus de cellules souches humaines.
Les Limites des Processeurs Traditionnels
Actuellement, les systèmes d’IA reposent sur des réseaux de neurones virtuels, bien moins complexes que le cerveau humain mais très énergivores. L’IA exige toujours plus de puissance de calcul, conduisant à des besoins énergétiques exponentiels. Par exemple, l’ordinateur le plus puissant du monde, le Frontier, nécessite 21 mégawatts pour égaler la vitesse de calcul du cerveau humain, qui ne consomme que 20 watts. De plus, les processeurs en silicium atteignent leurs limites en termes de performance par énergie consommée.
Le Changement de Paradigme
Pour résoudre ces problèmes, la solution réside dans le remplacement des processeurs traditionnels par des processeurs biologiques composés d’organoïdes cérébraux. Cette transition pourrait réduire la consommation d’énergie des systèmes d’IA actuels d’un million à un milliard de fois. FinalSpark, une start-up suisse basée à Vevey, est l’une des pionnières de cette révolution aux côtés de Cortical Labs en Australie et de Koniku aux États-Unis. Cependant, cette approche représente un changement de paradigme majeur, passant d’une informatique entièrement numérique à une informatique biologique basée sur la reprogrammation de cellules vivantes en neurones cérébraux.
Les Défis à Surmonter
Le chemin vers la création de bio-processeurs basés sur des organoïdes cérébraux est encore long. Bien que les organoïdes cérébraux de base existent depuis 2013, leur développement doit être soigneusement contrôlé pour obtenir une variété similaire à celle du cerveau humain. De plus, il est nécessaire d’améliorer leur survie. Actuellement, différents types d’organoïdes sont obtenus, notamment des neurones à glutamate liés à la mémoire et des cellules gliales essentielles au fonctionnement des neurones. Cependant, il reste à déterminer si le mélange de ces cellules est optimal pour l’apprentissage.
La Myélinisation et la Survie des Organoïdes
Un autre défi concerne la myélinisation, qui permet la propagation de l’influx nerveux en isolant les neurones. Bien que des progrès aient été réalisés, les taux de myélinisation restent un point d’interrogation. Les neurosphères, telles que celles développées par FinalSpark, peuvent vivre longtemps tant qu’elles ne sont pas activées. Cependant, pour programmer ces réseaux de neurones, ils doivent être activés par électrostimulation, ce qui les stresse. La microfluidique, une discipline en développement, est utilisée pour les alimenter régulièrement et prolonger leur durée de vie.
Le Défi de la Taille des Organoïdes
Un obstacle majeur est la taille des organoïdes cérébraux actuels, qui sont trop petits pour apprendre des tâches complexes. Ils mesurent généralement 0,5 millimètre de diamètre et contiennent seulement quelques dizaines de milliers de neurones, alors que le cerveau humain en compte 86 milliards. L’objectif est de faire croître ces organoïdes pour atteindre plusieurs centimètres, mais cela présente des défis en termes de nécrose des neurones centraux. Des recherches sont en cours pour vasculariser les neurosphères, simulant le réseau de vaisseaux sanguins du cerveau humain.
Programmation des Organoïdes
En parallèle des défis liés à l’alimentation, à la croissance et à la survie des organoïdes, un vaste champ de recherche s’ouvre à la frontière de l’informatique et des neurosciences. Il s’agit de programmer ces organoïdes pour accomplir des tâches tout en consommant beaucoup moins d’énergie que les ordinateurs traditionnels. FinalSpark a décidé de mettre gratuitement à disposition sa plateforme de neurosphères actives 24h/24 pour accélérer ce processus. L’objectif est de reproduire in vitro des aspects essentiels de l’apprentissage et de la mémoire humaine en utilisant l’IA et en développant de nouvelles interfaces et algorithmes pour communiquer avec les organoïdes cérébraux.
Les Questions Éthiques
Enfin, l’usage de bio-processeurs soulève des questions éthiques importantes. Il est essentiel de prendre en compte dès aujourd’hui les implications éthiques de ces futurs processeurs vivants. Les défis éthiques incluent la manipulation génétique, la responsabilité en cas de dysfonctionnement, et la protection des droits des organoïdes. Les chercheurs et les entreprises travaillant dans ce domaine doivent être attentifs à ces enjeux éthiques pour assurer un développement responsable de l’IO.
Conclusion
L’intelligence organoïde représente une révolution potentielle dans le domaine de l’intelligence artificielle. En remplaçant les processeurs traditionnels par des bio-processeurs basés sur des organoïdes cérébraux, il est possible de réduire considérablement la consommation d’énergie des systèmes d’IA tout en ouvrant de nouvelles possibilités d’apprentissage et de mémoire artificiels. Cependant, de nombreux défis techniques et éthiques doivent être surmontés pour concrétiser cette vision. L’avenir de l’IA pourrait bien reposer sur la fusion de la biologie et de l’informatique, et FinalSpark est en première ligne de cette révolution.