L’ascension fulgurante du pays d’Europe de l’Est, sous l’ombre du conflit ukrainien, a suscité un doublement de ses dépenses militaires. Cela a, à court terme, renforcé son influence, mais des questions à long terme demeurent en suspens.
La parade militaire dans la capitale polonaise le 15 août dernier a été la plus imposante depuis des décennies. Le gouvernement a mobilisé 2000 soldats, 200 véhicules et près de 100 avions de combat sous la bannière « Blanc et Rouge Forts » – cela alors que la guerre en Ukraine voisine fait rage depuis un an et demi déjà.
Le 103e anniversaire du « Miracle de la Vistule », la victoire de la Pologne sur l’Union soviétique, a offert la symbolique parfaite : Varsovie cherche, à travers cette démonstration de force, à envoyer un message de dissuasion à la Russie. Le Premier ministre Mateusz Morawiecki déclare que le réarmement se poursuivra « jusqu’à ce que nous ayons une armée si puissante que nous n’ayons pas besoin de nous défendre ». La Pologne, pays d’Europe de l’Est, aspire à devenir la première puissance militaire européenne.
Le Doublement de la Taille de l’Armée
Peu de temps après l’invasion de la Russie, le Parlement a adopté à une quasi-unanimité en mars 2022 la « Loi sur la Défense de la Patrie », prévoyant de doubler la taille de l’armée d’ici 2035, pour atteindre 300 000 hommes. Outre les 250 000 militaires et officiers professionnels, le ministère de la Défense compte sur les 50 000 membres de la Garde territoriale créée en 2016, qui pourraient être mobilisés en cas de guerre. L’an dernier, selon les chiffres officiels, la Pologne comptait déjà 164 000 militaires. À l’heure actuelle, la France maintient la plus grande armée d’Europe avec 205 000 hommes.
L’agrandissement et la modernisation de l’armée représentent un investissement considérable pour Varsovie. Bien que le pays ait quasiment respecté pendant dix ans l’objectif fixé en 2014 par l’OTAN de consacrer au moins 2 % de son PIB à la défense, les dépenses ont doublé en 2023 pour atteindre 3,9 % du PIB, soit près de 30 milliards de dollars cette année.
Les Fondements du Réarmement
Le parti au pouvoir en Pologne, Droit et Justice (PiS), a jeté les bases de ce réarmement dès 2019 avec un plan de modernisation s’étalant jusqu’en 2035. Son objectif : accélérer la transition des armes de l’ère soviétique vers une technologie occidentale. Le conflit en Ukraine est devenu un catalyseur, la Pologne ayant non seulement fourni à son voisin des avions de combat MiG-29, mais aussi 260 anciens chars, entraînant une perte significative de sa propre capacité de défense.
Maintenant, ce sont principalement des entreprises américaines, mais aussi sud-coréennes, britanniques, israéliennes et italiennes qui sont à l’honneur. Elles coopèrent souvent avec des entreprises d’armement polonaises. L’Allemagne et la France, qui étaient des fournisseurs importants avant l’arrivée au pouvoir de PiS, ont été reléguées au second plan. Cette situation reflète les tensions avec l’Union européenne en raison du conflit sur l’État de droit, ainsi que la conviction de Varsovie que l’Europe ne joue qu’un rôle secondaire en tant que partenaire en matière de sécurité.
Une Liste d’Achats Impressionnante
Un coup d’œil sur la liste d’achats de plusieurs milliards de dollars montre que la Pologne accorde la priorité au renforcement de la force aérienne, de l’armée de terre et de la défense aérienne.
L’armée de l’air dispose déjà de 48 avions de combat américains F-16, et elle a commandé 32 avions de combat multifonctions furtifs F-35 d’une valeur de 4,6 milliards de francs suisses. La Pologne prévoit également l’acquisition de 48 avions FA-50 en provenance de Corée du Sud. En mai dernier, le Pentagone a approuvé la livraison de 96 hélicoptères Apache pour un montant de 12 milliards de dollars. La Pologne achète également 32 hélicoptères de combat Leonardo en Italie, qui seront assemblés en Pologne.
L’armée de terre a déjà acheté 18 systèmes HIMARS, avec une option pour 18 autres. À cela s’ajoutent 468 modules de lance-roquettes montés sur camion, pour un coût de plus de 10 milliards de dollars. Le nombre final de ces modules reste incertain. Face aux retards dans les livraisons américaines, la Pologne a conclu l’année dernière un accord de 10 à 12 milliards de dollars avec la Corée du Sud, incluant, outre les avions, des obusiers, des lance-roquettes et 180 chars. Ces derniers représenteront à terme un dixième de la flotte totale. Les États-Unis fourniront également 366 chars de combat Abrams pour un coût de 7 milliards de dollars, comprenant la formation, les pièces de rechange et la maintenance.
Pour la défense aérienne, un système en trois étapes avec différentes portées est en développement. La phase la plus avancée, nommée « Wisla », a jusqu’à présent coûté 4,6 milliards de francs suisses, notamment pour le système de missiles Patriot. Récemment, le Royaume-Uni a ajouté des missiles sol-air Camm d’une valeur de 2,1 milliards de francs suisses. Des dépenses en milliards sont également prévues pour la modernisation de la marine, l’acquisition de nouveaux drones et fusils.
Le Défi de la Coordination
La coordination de tous ces systèmes d’armement différents représente un défi de taille. Les Polonais travaillent
sur des systèmes de commandement numérique pour coordonner les armes nationales et étrangères. Celui destiné à coordonner l’artillerie, les drones et les missiles sur le champ de bataille s’appelle « Topaz ». Cependant, cela s’accompagne de complexités logistiques liées à la maintenance et à l’utilisation des différentes technologies.
Bien que la majeure partie des munitions soit compatible, en raison de normes de production alignées sur l’OTAN, des armements spécialisés comme les roquettes GMLRS pour les HIMARS sont hautement spécialisés. Le fabricant Lockheed Martin a annoncé doubler la production, mais en raison de pénuries de main-d’œuvre et de fournitures, cela prendra au moins deux ans, selon la société.
En outre, la question de l’origine des spécialistes nécessaires à la croissance de l’armée et de l’industrie de la défense reste en suspens. Face à un marché du travail exsangue, les deux secteurs misent sur des salaires attractifs. Selon le ministère de la Défense, le salaire de base des militaires a presque doublé depuis 2015, atteignant environ 1000 francs suisses. Cependant, la rotation du personnel reste élevée, en partie en raison du remplacement par PiS, pour des raisons politiques, d’une grande partie du haut commandement militaire depuis son arrivée au pouvoir en 2015.
Malgré une économie florissante, le financement des dépenses de défense représente un fardeau considérable pour le budget de l’État. Celui-ci prévoit un déficit d’environ 14 milliards de francs suisses pour 2023. Toutes les dépenses militaires ne sont pas incluses, une grande partie étant financée par un fonds spécial dans une banque contrôlée par l’État et par des prêts.
Les experts militaires soulignent également que l’achat de systèmes d’armement ne représente qu’un tiers des coûts sur l’ensemble de leur cycle de vie. Une estimation place les coûts de maintenance pour la prochaine décennie à plus de 200 milliards de francs suisses.
Les transactions d’armement, rapides et souvent réalisées sans appel d’offres, suscitent également des mécontentements au sein de l’industrie de la défense polonaise, qui se sent marginalisée par la concurrence étrangère. D’autres critiques pointent du doigt l’absence d’une vision globale cohérente. Slawomir Sierakowski du German Council on Foreign Relations reproche au gouvernement de privilégier des gestes nationalistes grandioses plutôt qu’une coopération réfléchie avec les partenaires de l’OTAN.
Une Mise en Avant Internationale
Il est indéniable que le PiS exploite l’expansion de l’armée à des fins électorales. La situation géopolitique lui permet de se présenter comme la seule force capable de protéger pleinement la souveraineté de la Pologne. Cette démarche profite également du fait que la population ait davantage confiance dans les forces armées que dans les politiciens.
Sur la scène internationale, cette stratégie fonctionne. L’Allemagne émet peu de critiques, Berlin se réjouissant du renforcement du rôle de la Pologne en tant que tampon militaire contre la Russie. Les États-Unis et l’OTAN apprécient également ce partenaire solide dans une région géopolitiquement instable.
L’ancien haut fonctionnaire de l’OTAN, Jamie Shea, déclare : « L’importance de la Pologne au sein de l’Alliance a considérablement augmenté. S’ils maintiennent leurs plans d’acquisition, ils deviendront une superpuissance militaire en Europe. »