Une Divergence de Positions
Alors qu’Emmanuel Macron a choisi la fermeté face aux putschistes et soutient l’idée – contestée – d’une intervention militaire de la Cedeao, Washington joue la discrétion et prend ses distances avec Paris. Analyse du spécialiste américain Michael Shurkin.
Depuis le coup d’État du 26 juillet qui a mis aux arrêts le président Mohamed Bazoum, les deux plus vieux alliés du Niger, les États-Unis et la France, n’emploient pas le même ton face à la junte militaire qui a pris le pouvoir. Paris soutient ouvertement l’option militaire envisagée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Emmanuel Macron exige non seulement la libération du dirigeant nigérien, retenu prisonnier depuis plus d’un mois par les hommes du général Abdourahamane Tiani, mais aussi sa réinstallation sur le fauteuil présidentiel.
Des Positions Inflexibles
Ne reconnaissant pas une junte qu’il juge illégitime, le locataire de l’Élysée n’entend pas obtempérer à sa demande expresse de retirer les quelque 1 500 soldats français déployés au Niger – même si, selon les informations du « Monde », un désengagement partiel semble se préparer en coulisses. Les autorités françaises, accusées le 9 septembre par le régime militaire de préparer une « agression », refusent aussi le retour à Paris de l’ambassadeur Sylvain Itté, contre l’avis des putschistes qui exigent son expulsion et lui ont retiré son immunité et son visa diplomatique.
La Souplesse Américaine
De son côté, la diplomatie américaine est plus souple. Les États-Unis ont envoyé le 7 août à Niamey une émissaire, la secrétaire d’État adjointe par intérim Victoria Nuland, pour rencontrer les représentants de la junte militaire. Washington s’est abstenu de qualifier de « coup d’État » la prise de pouvoir, insistant sur la nécessité de restaurer la démocratie par la négociation. Sa coopération sécuritaire avec le Niger a été, comme entre Paris et Niamey, temporairement suspendue.
Un Redéploiement Stratégique
Mais, le 7 septembre, les Américains, qui disposent de quelque 1 000 soldats stationnés dans le pays, ont annoncé un « repositionnement » de leurs troupes, qui devraient quitter la base aérienne 101 de Niamey – partagée avec les Français – et se redéployer sur la base 201 d’Agadez, site important situé au nord de la capitale d’où partent leurs drones. Une décision qui apparaît comme une prise de distance face à l’inflexibilité de Paris.
Les Enjeux pour les Deux Alliés
Pour les deux pays, le Niger était un allié stratégique, le dernier au Sahel, notamment dans la lutte antiterroriste. Les États-Unis, comme la France, avaient placé beaucoup d’espoir en Mohamed Bazoum, à l’approche pro-occidentale et efficace. Mais les Américains sont pragmatiques, comme nous l’explique Michael Shurkin, directeur des programmes mondiaux au cabinet de conseil 14 North Strategies, chercheur associé au think tank américain Atlantic Council et ancien analyste à la CIA sur les questions de sécurité en Afrique et en Afghanistan.
La Pragmatisme Américain
Les États-Unis partagent avec la France le souci d’un « retour à l’ordre constitutionnel » au Niger. Mais Washington s’est gardé d’afficher des positions aussi fermes que celles de Paris. Comment expliquez-vous cette prudence ?
Michael Shurkin Les États-Unis sont face à un dilemme : ils peuvent adopter une position de principe en faveur de la démocratie et défendre l’idée selon laquelle un retour à l’ordre constitutionnel est une condition pour la sécurité et la stabilité à long terme du Niger ; ou choisir de travailler avec les putschistes nigériens. Il n’y a pas de solution évidente, mais l’administration Biden a choisi le pragmatisme et laisse la porte ouverte, autant que possible, au dialogue.
Les Intérêts Américains dans la Région
Justement, quels sont les intérêts américains dans la région ?
Les mêmes que ceux qui préoccupent la France : la lutte contre Al-Qaida et l’État islamique, et contre l’influence russe sur le continent. Près de 1 000 soldats américains sont déployés dans la base aérienne située près de l’aéroport international à Niamey, là où sont également positionnés les militaires français. Les États-Unis disposent également d’une vaste base de drones dans la région d’Agadez, au nord de Niamey.
Des Défis pour les États-Unis
Les Américains sont dans une position difficile. Pour éviter que la Russie ne profite du départ des Français, ils pourraient se retrouver obligés de fournir une assistance militaire à un régime né d’un putsch militaire. Or la loi américaine interdit de fournir une aide sécuritaire à un pouvoir issu d’un putsch. C’est pourquoi les responsables de l’administration Biden ont jusqu’à présent soigneusement évité de prononcer le mot « coup d’État ». Les États-Unis continuent d’être obsédés par la Russie – et la Chine – au lieu de s’intéresser à l’Afrique en tant que tel. Cette préoccupation empêche les Américains de se retirer totalement du continent.
Des Répercussions sur la France
Au sein des autorités françaises, la stratégie américaine a été perçue par certains comme un coup de poignard dans le dos…
Les deux puissances ne sont pas en concurrence. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, les États-Unis ne veulent pas profiter de la perte d’influence de la France au Sahel pour chasser la France de l’Afrique. La lutte antiterroriste est une entreprise franco-américaine au Niger. Mais face à la crise de légitimité de la France dans la région, les États-Unis réfléchissent à poursuivre leur engagement sans leur allié.
Conclusion
Encore une fois, ce n’est pas le souhait des Américains. Ils ont toujours compté sur l’engagement français et son leadership sur la question sécuritaire. Mais cela semble de plus en plus ardu de s’appuyer sur la France. Paris s’illusionne en pensant que le sentiment anti-français n’est pas aussi fort qu’on le dit. Les autorités françaises ont tort de croire qu’en maintenant la pression, elles peuvent obtenir une solution plus favorable. La France surestime son influence et n’est pas réaliste.
Et quand bien même la stratégie française était payante : la légitimité d’une intervention militaire de la Cedeao et d’une réinstallation de Mohamed Bazoum au pouvoir serait affaiblie aux yeux de beaucoup d’Africains en raison même d’un soutien français. C’est pourquoi il est dans l’intérêt de Paris que la stratégie américaine aboutisse.