Un scandale ébranle la confiance du petit État asiatique dans son intégrité
SINGAPOUR – Le ministre singapourien des Transports, Subramaniam Iswaran, considéré comme l’un des représentants les plus éloquents de la réussite économique de la cité-État, ainsi que le milliardaire et promoteur immobilier Ong Beng Seng, l’un des hommes d’affaires les plus en vue du pays, viennent d’être arrêtés puis libérés sous caution dans le cadre d’une enquête pour corruption présumée liée au Grand Prix de Formule 1 de Singapour. Ces arrestations, rarissimes au sein de l’élite politique et économique singapourienne, ébranlent les certitudes du pays quant à l’intégrité de ses dirigeants.
La tolérance zéro contre la corruption, un dogme étatique
Depuis sa fondation, Singapour a fait de la lutte contre la corruption le fer de lance de son action politique. L’administration et le gouvernement bénéficient d’une réputation d’intégrité, et le sujet est devenu tabou. Le dernier scandale d’importance remonte à 1986 et a pris une dimension quasi symbolique, le ministre mis en cause s’étant suicidé avant son procès.
L’enquête est menée par le Bureau d’investigation des pratiques corrompues (CPIB), équivalent singapourien du FBI. Si les détails restent confidentiels, il semblerait que l’affaire concerne le versement de pots-de-vin en lien avec l’organisation du Grand Prix de F1, qui se tient chaque année dans la cité-État depuis 2008.
Des révélations gênantes pour le pouvoir en place
Le Premier ministre Lee Hsien Loong, manifestement au courant de l’enquête depuis une semaine, s’est exprimé publiquement de manière inédite sur ce dossier sensible, promettant transparence et réactivité, même si les faits s’avéraient embarrassants pour son parti, au pouvoir depuis des décennies.
Des mesures drastiques ont été prises, comme la confiscation des passeports des deux suspects. Si le ministre Iswaran est formellement en poste, il s’est mis en retrait sur conseil du Premier ministre. Ce scandale entache indirectement le bilan de Lee Hsien Loong, qui dirige le pays depuis vingt ans et amorce sa transition du pouvoir. Une affaire de corruption dans son entourage, de surcroît liée à un événement aussi médiatisé que la F1, nuirait à son héritage politique.
Une manne économique controversée
La course nocturne dans les rues de la cité fut toujours controversée, notamment en raison des nuisances sonores et de la perturbation du trafic qu’elle engendre. Mais des arguments financiers ont jusqu’ici prévalu, avec des retombées économiques de plusieurs centaines de millions de dollars chaque année pour Singapour. Le Grand Prix génère d’importantes recettes touristiques et améliore l’image de marque de la ville.
Toutefois, une partie de la population déplore le coût de l’événement et l’impact sur l’environnement. Certains activistes estiment que ces budgets devraient être alloués à des programmes sociaux ou éducatifs. Le gouvernement singapourien maintient néanmoins que le Grand Prix apporte une visibilité et des opportunités économiques justifiant largement les investissements consentis.
Le rôle trouble d’un milliardaire britannique
L’enquête trouve vraisemblablement son origine dans des investigations menées au Royaume-Uni sur Bernie Ecclestone pour fraude fiscale présumée, qui ont mis au jour des comptes occultes à Singapour. On ignore s’il existe un lien direct avec les recherches du CPIB.
En revanche, le rôle du milliardaire Ong Beng Seng ne fait aucun doute : son empire financier a activement contribué, par le passé, au maintien du « Grand Prix de Singapour », en déployant d’importants efforts de lobbying et d’investissements. Dans ce contexte, quelques généreux cadeaux peuvent sembler dérisoires, mais heurtent le principe de tolérance zéro revendiqué par l’État depuis ses débuts.
Un événement sportif sous haute surveillance
Par ailleurs, l’organisation du Grand Prix requiert le déploiement de mesures de sécurité exceptionnelles, mobilisant plusieurs milliers de policiers et de militaires singapouriens. Des forces spéciales sont mobilisées pour prévenir tout risque d’attentat ou de manifestation hostile pendant l’événement.
Cette mobilisation massive de ressources sécuritaires pour un événement sportif et mondain suscite également des critiques. Certains analystes estiment que le budget consacré à la sécurisation du Grand Prix pourrait être mieux employé pour renforcer la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé.