Un désastre écologique sans précédent causé par la guerre
L’Ukraine est aux prises avec une série de catastrophes environnementales liées à la guerre russe depuis 2014. Outre les destructions causées par les combats, les infrastructures militaires, et les déplacements massifs de population, l’environnement subit également des conséquences désastreuses. L’explosion récente du barrage de Kakhovka et ses conséquences dévastatrices ajoutent une nouvelle tragédie à cette longue liste.
Une destruction d’une ampleur incommensurable
L’explosion du barrage de Nova Kakhovka, survenue dans la nuit du 5 au 6 juin, a engendré des dégâts environnementaux d’une ampleur incommensurable. Les conséquences de cette catastrophe se feront sentir sur les écosystèmes pendant de nombreuses années à venir. Les eaux du fleuve Dniepr, retenues jusqu’alors dans un immense réservoir de 240 kilomètres de long visible depuis l’espace, se sont soudainement déversées, provoquant des inondations d’une ampleur sans précédent. Les responsabilités de cette destruction sont au cœur des tensions entre Kiev et Moscou, mais les regards se tournent principalement vers le Kremlin, qui avait un intérêt majeur à causer ce désastre afin de ralentir la contre-offensive ukrainienne.
Des conséquences dévastatrices en cascade
En aval du barrage, les eaux se sont élevées de plusieurs mètres, inondant 32 zones urbaines et plus de 64 000 hectares de forêts. Les dommages sont estimés à au moins 1,4 milliard d’euros. Plus de 8 000 personnes ont été évacuées des deux côtés du fleuve, à l’ouest en Ukraine et à l’est en Russie. Les autorités locales ont signalé la perte de plusieurs vies civiles, avec un bilan total d’environ une dizaine de décès.
L’explosion du barrage de Nova Kakhovka a élargi le fleuve Dniepr sur des centaines de kilomètres, jusqu’à la grande ville de Kherson et l’embouchure de la mer Noire. Cette situation rend pratiquement impossible la traversée du fleuve par les troupes ukrainiennes, qui cherchent précisément à reprendre le contrôle du territoire à l’est du Dniepr.
Une menace écologique préoccupante
Outre les dégâts déjà documentés, cette catastrophe a entraîné des conséquences environnementales désastreuses. Les autorités ukrainiennes ont annoncé que 150 tonnes d’huile de moteur se sont déversées dans les eaux lors de la destruction du barrage, mettant en péril de nombreux écosystèmes fluviaux, étouffant la faune et la flore. De plus, les inondations ont englobé plusieurs sites industriels et portuaires, ce qui pourrait provoquer une contamination par divers produits toxiques. « Une quantité considérable de sédiments pollués a été déversée dans la mer Noire », a déclaré Doug Weir de l’Observatoire des conflits et de l’environnement (CEOBS).
Des conséquences sur la biodiversité et la sécurité alimentaire
Les conséquences sont multiples. Les habitats fragiles, les zones humides et plusieurs parcs nationaux ont été inondés, menaçant de manière dramatique les espèces qui y résidaient. Les oiseaux qui nichent habituellement sur les îles du fleuve ne pourront plus le faire, ce qui perturbera leur cycle de reproduction. De plus, l’approvisionnement en eau potable de la région est perturbé, avec des stations de pompage submergées. La ville de Kryvyï Rih, qui dépendait à 70 % du réservoir de Kakhovka, a dû introduire des restrictions d’utilisation de l’eau.
Les conséquences se font également ressentir sur l’agriculture, avec au moins 500 000 hectares de terres agricoles privés d’irrigation, ce qui menace de les transformer en véritables « déserts ». Cette situation aura probablement un impact sur les prix mondiaux des céréales, car l’Ukraine est l’un des plus grands exportateurs mondiaux, étant le cinquième exportateur de blé avant l’invasion de 2022.
Une menace pour la centrale nucléaire de Zaporijia
La baisse du niveau du réservoir de Kakhovka met également sous tension le circuit de refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijia. Après la destruction du barrage, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la société ukrainienne Ukrgidroenergo ont publié des informations contradictoires sur l’état de la centrale. Toutefois, les opérations de pompage d’eau dans le réservoir se poursuivent pour l’instant. Le réseau et le grand lac de refroidissement à proximité de la centrale de Zaporijia sont encore pleins, avec des réserves suffisantes pour couvrir les besoins pendant plusieurs mois, selon l’AIEA dans un communiqué publié le 11 juin.
La sécurité des centrales nucléaires dans les zones de conflit est une préoccupation majeure. Zaporijia, la plus grande centrale d’Europe, a déjà été la cible de frappes au début de l’invasion. Bien que ses six réacteurs aient été mis à l’arrêt en septembre 2022, le maintien d’une alimentation en eau et en électricité reste essentiel pour prévenir les risques d’accidents.
Des pollutions depuis le début de la guerre
Au-delà de cette catastrophe récente, l’Ukraine fait face à de réelles pollutions depuis le début de la guerre en 2014. Avant février 2022, ces pollutions étaient principalement concentrées dans la région du Donbass et étaient principalement liées aux industries présentes en grand nombre dans cette région. De nombreuses mines ont été inondées, et les autorités russes ont refusé de pomper l’eau, ce qui a entraîné l’inondation de mines voisines contenant des substances radioactives.
Avec l’invasion de 2022, les dommages environnementaux se sont propagés sur l’ensemble du territoire ukrainien. L’Initiative pour la comptabilisation des gaz à effet de serre de la guerre a estimé que les combats au cours de la première année avaient généré 120 millions de tonnes de CO2, soit environ les émissions annuelles de la Belgique. À cela s’ajoutent les 19,7 millions de tonnes de CO2 émises par les immenses incendies de forêt.
L’écocide, un crime à condamner
Les autorités ukrainiennes alertent depuis plusieurs mois sur cette problématique et cherchent à faire reconnaître le crime d’écocide à l’échelle internationale. Elles sont conscientes que les enjeux environnementaux peuvent susciter une mobilisation importante en leur faveur. Ruslan Strilets, ministre ukrainien de l’environnement, a déclaré que la destruction du barrage constitue « l’acte d’écocide le plus grave que la Russie ait commis depuis le début de l’invasion » en février 2022.
Il est légitime de se demander si la destruction de la nature est un objectif de guerre en soi, similaire aux destructions culturelles observées dans de nombreux conflits. L’Ukraine, historiquement associée à la richesse de son sol, a longtemps été considérée comme le grenier à blé de l’URSS et de l’Europe.
Cependant, selon Marin Coudreau, postdoctorant au CERCEC-CNRS, il est peu probable que la nature soit attaquée en tant que patrimoine ukrainien. La fragilité du territoire ukrainien résulte plutôt de son industrialisation, de ses infrastructures militaires et énergétiques nombreuses mais vétustes.
Bien que la destruction des écosystèmes ne soit pas un objectif direct, les autorités russes ne peuvent ignorer les conséquences de leurs actions. La pollution est également une manière d’infliger des blessures durables à l’ennemi.