La crise économique persistante
Un an après son effondrement économique, le Sri Lanka lutte toujours pour se relever. Alors que la Chine et l’Inde poursuivent leurs intérêts géostratégiques, ils s’immiscent dans cette situation de crise.
Dans la campagne luxuriante d’Hambantota, située au sud du Sri Lanka, de vastes infrastructures inutilisées et flambant neuves se dressent telles des fantômes. Ces terres bouddhistes et cinghalaises, d’une beauté époustouflante, étaient autrefois le fief électoral de l’ancien président Mahinda Rajapaksa, membre d’une dynastie politique qui a dominé l’île pendant près de deux décennies avant d’être évincée par la colère populaire face à l’effondrement économique.
Les bâtiments portent encore son nom, témoignant des projets financés par la Chine et de ses ambitions démesurées. On y trouve un immense stade de cricket, un palais des congrès le long d’une nouvelle autoroute, ainsi qu’un prétendu « aéroport international » avec des plafonds en bois et un jardin intérieur. Cependant, le tarmac reste vide, à l’exception d’un jet russe occasionnel. Il y a également le fameux port d’Hambantota, qui a dû être cédé à la China Merchants Port Holdings Company en 2017, pour une durée de 99 ans, en raison des dettes accumulées. Ce port offre à la Chine une présence stratégique, bien que peu de bateaux y accostent et que la zone soit devenue une véritable cité interdite.
Ces nombreux projets manqués de Mahinda Rajapaksa se retrouvent également à Colombo et ont plongé l’île dans un piège de la dette. Les villageois d’Hambantota expriment ouvertement leur indignation face à ces projets absurdes qui n’apportent aucun bénéfice. Un fermier de 53 ans, Sumith Amarawikrama, déclare : « Le Sri Lanka va devenir une colonie chinoise ! ».
Le piège de la dette
George Cooke, historien des relations diplomatiques, rappelle que « la Chine n’a forcé personne et entretient une amitié de longue date avec le Sri Lanka. Ce sont nos dirigeants qui ont mal utilisé l’argent ». En avril 2022, l’île a fait défaut sur sa dette publique de 46 milliards de dollars en raison d’une gestion désastreuse et opaque. Tout a commencé avec l’échec d’une politique agricole et des baisses d’impôts, aggravés par la pandémie de Covid-19. Le manque de devises a entraîné des pénuries de nourriture, de médicaments, d’électricité et de carburant. Sous le choc, la population a envahi les rues pendant des mois, forçant le Premier ministre Mahinda Rajapaksa à démissionner, puis son frère cadet, le président Gotabaya Rajapaksa, à fuir le pays.
C’est Ranil Wickremesinghe, nommé président par intérim par le parlement, qui tente de reprendre en main le Sri Lanka. Plus acceptable que les Rajapaksa aux yeux de la communauté internationale, il négocie actuellement la restructuration de la dette, un exercice laborieux qui prend du retard. Bien que le processus manque de transparence, l’espoir est grand depuis que le Fonds monétaire international (FMI) a approuvé, en mars dernier, un prêt de sauvetage de 2,9 milliards de dollars. Pour obtenir ce prêt, des accords ont dû être conclus avec les principaux créanciers bilatéraux, notamment l’Inde, le Japon et surtout la Chine, qui était réticente à l’idée de voir le premier pays des nouvelles Routes de la soie faire faillite.
Précarisation de la population
Dans les rues de Colombo, l’illusion de la normalité prévaut, grâce au premier versement du FMI qui a apporté un certain soulagement. Cependant, dans le quartier pauvre de Slave Island, les familles admettent ne plus être en mesure de payer leurs factures d’électricité. Rezena Naseer, une femme au foyer, explique : « J’accumule les dettes et je ne m’en sors pas. Je ne peux même plus nourrir correctement mes quatre enfants ». Selon l’agence des Nations unies pour l’enfance, un Sri-Lankais sur trois aurait besoin d’une aide humanitaire. Les experts mettent en garde contre l’appauvrissement des segments vulnérables de la population, notamment les agriculteurs, les pêcheurs et les ouvriers, qui sont durement touchés par les mesures d’austérité et dont les difficultés devraient s’aggraver.
Les enjeux géopolitiques des investissements chinois et indiens
Le Sri Lanka, pris entre les intérêts de la Chine et de l’Inde, tente d’équilibrer la balance alors que ses ressources stratégiques sont devenues des enjeux de compétition. En 2021, le conglomérat indien Adani a déjà remporté un projet de 659 millions d’euros pour un terminal portuaire à Colombo. Il vient également d’investir 442 millions d’euros dans deux fermes éoliennes situées au nord de l’île, ce qui représente le premier investissement massif depuis l’effondrement économique. Parallèlement, la China Harbour Engineering Company détient 43% de la « Colombo Port City », une nouvelle presqu’île artificielle en construction, d’un coût de 1,3 milliard d’euros, qui place la Chine au cœur de la capitale.
Afin de redresser son bilan, le Sri Lanka prévoit maintenant de vendre des entreprises publiques, dont certaines sont rentables. Sri Lanka Telecom, Sri Lanka Insurance Corporation, les hôtels Grand Hyatt et Hilton ou encore Litro Gas Lanka figurent sur la liste annoncée récemment par Ranil Wickremesinghe. Celui-ci déclare : « Il est impossible de les conserver et de rembourser les prêts ». Il met également en garde son pays déjà affaibli : « Reconstruire une nation en faillite ne peut se faire en utilisant des méthodes traditionnelles ».
En conclusion, le Sri Lanka se trouve dans une situation désespérée, où les grandes puissances profitent de cette crise pour poursuivre leurs intérêts géopolitiques. Alors que le pays tente de se relever économiquement et de réduire sa dette, il doit faire face à la précarisation de sa population. Les investissements chinois et indiens jouent un rôle clé dans cette dynamique, marquant la compétition entre ces deux puissances régionales. Le futur du Sri Lanka dépendra de sa capacité à mettre en place des réformes efficaces et transparentes, tout en préservant sa souveraineté et en veillant au bien-être de sa population.